28 Novembre 2020
Pour célébrer les trente ans de la sortie du dernier volet de la trilogie du Parrain, Francis Ford Coppola présentera, le 8 décembre 2020, une nouvelle version du film incluant principalement un nouveau début et encore plus étonnant une nouvelle fin. Avec même un nouveau titre ou plutôt celui que le réalisateur souhaitait à l'époque : The Godfather Coda : The Death of Michael Corleone. La Paramount, le studio producteur de la saga mafieuse la plus célèbre de l'histoire du cinéma, avait opté en 1990 pour The Godfather III, plus simple, plus direct, plus accrocheur.... Mais ce fut peine perdue puisque ce troisième volet fut un cinglant échec commercial et critique qui concluait tristement l'une des plus belles réussites du cinéma hollywoodien. En France, ce troisième épisode fit moins de 400 000 entrées quand le premier film rassemblait plus de 4 millions de spectateurs. La messe était dite pour Le Parrain qui justement fricotait dans cet ultime volet au sein des arcanes douteuses du Vatican. Pour parachever le chemin de croix de l'ultime épisode de la saga Corleone, Francis Ford Coppola désavoua le film estimant qu'il ne correspondait pas à sa vision d'auteur. Sauf qu'au fil du temps, par le biais de la vidéo et de la télévision, l'opus maudit a bénéficié d'une légitime réhabilitation, celle d'une conclusion baroque et funèbre du plus bel éclat, retrouvant sa place à la suite de ses deux glorieux aînés.. La tâche était rude, d'autant que le second volet est sans conteste le chef d’œuvre de Francis Ford Coppola, capable pendant trois heures d'imposer avec une ampleur magistrale deux films en un d'une cohérence déconcertante sur l'ascension du père et la damnation du fils. Le réalisateur était tellement convaincu de sa réussite qu'il répéta à l'envi après sa sortie en 1974 qu'il n'y avait aucune raison d'imaginer une suite à un second volet aussi exceptionnel. Le dernier plan sublime et tragique sur Al Pacino symbolisait à jamais la chute morale de Michael Corleone. Et basta cosi... ! D'autant que Francis Ford Coppola a toujours vu Le Parrain comme une commande qu'il estimait éloignée de ses ambitions artistiques, voire comme une forme de malédiction lui offrant une reconnaissance populaire qu'il méprisait...
Donc après les deux film du Parrain couverts d'Oscars et Conversation Secrète, couronnée d'une Palme d'Or, Coppola pouvait enfin s'atteler à son double dessein, réaliser des œuvres personnelles et établir son indépendance envers Hollywood. Sa mégalomanie hors-normes va le conduire tout d'abord vers le triomphe planétaire d'Apocalypse Now en 1979, suivi du naufrage de Coup de Coeur en 1982. Comme souvent dans sa carrière mouvementée et tourmentée, Coppola sera contraint de sacrifier son indépendance pour des raisons financières. Après tout, il accepta de tourner le premier Parrain pour éponger les dettes contractées pour financer THX 1138, le film expérimental de son copain George Lucas. Après l'échec de Coup de Cœur qu'il produit au sein de son propre studio Zoetrope, le cinéaste tenta vaille que vaille de conserver son intégrité tout au long des années 80, ignorant les propositions de la Paramount pour la réalisation d'un 3e Parrain. Mais à la fin de la décennie, avec une dette de huit millions de dollars contractée pour la survie de Zoetrope, Francis Ford Coppola n'a plus le choix et doit renouer avec les gangsters du clan Corleone. Néanmoins, il négocie au prix fort son retour dans le giron de la Paramount en s'assurant une grande liberté, tant sur le scénario qu'il écrit avec Mario Puzo que sur l'intégrité de la production. Les ennuis démarrent avec deux ratés dans la distribution qui pèseront lourd : l'éviction de Robert Duvall qui réclame un cachet identique à celui d'Al Pacino et le désistement de Wynona Rider remplacée par Sofia Coppola pour incarner Mary, la fille de Michael Corleone. Un choix qui provoque des remous, suscitant une désapprobation de la part d'Al Pacino et de Diane Keaton, soulignant l'inexpérience de la jeune femme qui doit assumer un rôle primordial dans la dramaturgie de l’œuvre. Ce sera plus tard l'une des raisons avancées pour expliquer l'échec du film, surtout que la critique sera impitoyable envers la jeune actrice qui n'en méritait pas tant. Pourtant le reste de la distribution a plutôt de l'allure avec les nouveaux venus, Andy Garcia, Joe Mantegna ou Elli Wallach...
De toutes façons, Coppola reste sourd à toutes les remarques, témoignant même d'une distance dédaigneuse avec ses acteurs qu'il dirige le plus souvent, enfermé dans la régie technique. Mais ce ne sont pas les caprices des uns et des autres qui provoqueront l'échec du film. En 1990, soit seize ans après Le Parrain II, l'attente du public s'est émoussé face à la vision viscontienne des gangsters par Francis Ford Coppola. C'est d'autant plus vrai que trois mois avant la sortie du Parrain III, Martin Scorsese a proposé un pur chef d'œuvre Les Affranchis, qui donnait une vision plus réaliste des mafieux italo-américains. Le lyrisme shakespearien du clan Corleone apparut daté, voire déplacé, d'autant qu'il ne se semblait pas vraiment évolué, renouant avec les séquences rituelles des films précédents. Coppola annonça la couleur dès le départ en faisant dire à Michael Corleone : « Juste quand je m'en croyais sorti, ils m'y ramènent ! » A contrario de Scorsese qui admirait les gangsters de son enfance à Little Italy, Francis Ford Coppola n'a aucune sorte d'affect face à la mythologie mafieuse. Ce qui lui importe, c'est de traiter à travers le destin des Corleone d'une forme de métaphysique familiale où se mêlent des thèmes éternels comme l'hérédité, la trahison, le pouvoir, la transmission, la fatalité... Et jusqu'au bout, il condamne Michael Corleone à son destin funèbre à force d'avoir trahi ses idéaux de jeunesse et d'avoir commis les pires crimes pour asseoir son pouvoir. Le cinéaste étouffe à petits feux sa créature rongée par le diabète, obligé de laisser son royaume à son neveu, rejeton illégitime de son frère Sonny, plutôt qu'à son propre fils qui s'adonne à l'art lyrique. A l'instar des épisodes précédents, le film plonge l'intrigue au cœur du système mafieux, faisant une référence assez osée à l'affairisme du Vatican et à l'assassinat probable du Pape Jean-Paul 1er. Mais ce que l'on retient de ce troisième épisode, c'est la cruelle nostalgie vécue par Michael Corleone lors de son retour en Sicile.
Coppola va le conduire jusqu'à l'église du village de Corleone, là où il épousa en secret Apollonia dans le premier film. Un mariage s'y déroule justement plongeant le parrain dans le souvenir le plus heureux de sa vie. Mais avec toujours l'ombre tutélaire du père, ce héros... En arrière-plan, une mule traverse la place de l'église rappelant la fuite du jeune Vito caché dans un panier transporté par un âne. Mais la cruauté de Francis Ford Coppola atteint son acmé dans le final composé comme un opéra sanglant où le cinéaste, au lieu de régler son compte à Michael Corleone, lui fait subir le châtiment ultime en faisant tuer le seul être qu'il chérit : sa propre fille exécutée par erreur à sa place. Dieu sait si Al Pacino nous a ébloui dans sa carrière, mais son cri de douleur qui n'arrive pas à sortir de ses entrailles tout en serrant le corps ensanglanté de Mary, reste un sommet de son génie d'acteur. La fin qui s'ensuit, celle d'un homme à bout de forces qui s'écroule seul dans son jardin sicilien, est encore une référence à la mort de Don Vito. C'est dire si Le Parrain III mérite la réévaluation constante dont il bénéficie depuis trente ans. On peut donc se demander quelle mouche a piqué Francis Ford Coppola de désavouer le film et encore plus sa volonté récente de revoir l'ordonnancement des séquences jusqu'à annoncer un changement dans sa conclusion. Dans le script initial, Michael Corleone devait succomber de mort violente dans la scène finale, mais Francis Ford Coppola et Mario Puzo ont modifié leur propre scénario, estimant qu'il fallait torturer l'âme du parrain jusqu'à l'os. La Paramount qui a eu le dos large face aux contradictions et caprices de son génial cinéaste semble prêt à endosser toutes les responsabilités du moment que ce Parrain III remixé fasse l'événement. Après tout Coppola avait remonté les deux premiers épisodes dans un ordre chronologique, ajoutant des scènes inédites et retirant les séquences les plus violentes pour une série télévisée reconnue unanimement comme un désastre. La plus grande trilogie de l'histoire du cinéma résiste à tout, même à celui qui en fut, presque malgré lui, le créateur inspiré.