2 Novembre 2020
C'est bien une icône du cinéma mondial qui nous a quittés ce 31 octobre 2020 à 90 ans. Car Sean Connery est entré dans l'histoire du 7e Art depuis bien longtemps en devenant le premier James Bond sur grand écran. Difficile d'échapper au mythe fondateur de la filmographie de la star au point que Ian Fleming sera convaincu de donner des origines écossaises à son célèbre agent secret. Sean Connery lui-même aura un rapport très affectif avec James Bond, passant une bonne partie de sa carrière à vouloir lui échapper tout en témoignant de son intérêt soutenu pour ses successeurs et l'évolution de la franchise. Il sera obligé de respecter la promesse de quitter définitivement le personnage en 1983 dans Jamais Plus Jamais, film non officiel de la saga et remake d'Opération Tonnerre où il incarnait un agent 007 atteint momentanément de rhumatismes. Le titre du film était un clin d’œil à la déclaration de Sean Connery de ne plus incarner Bond après avoir déjà repris du service en 1971 pour Les Diamants sont Éternels, opus qui relança la série, suite à l'échec commercial d'Au Service Secret de Sa majesté avec George Lazenby. Bref, si Sean Connery témoigna de sa lassitude, voire de son hostilité, vis-à-vis de James Bond, il savait au fond de lui qu'il en était l'expression même. Celle du mâle alpha qui faisait se pâmer les femmes et auquel les hommes rêvaient de ressembler. Mais si désormais les codes de 007 sont totalement intégrés à la pop culture jusque dans les stéréotypes qu'ils développent avec ironie, ce n'était pas le cas dans les années 60. Les premiers James Bond avec Sean Connery, s'ils furent d'énormes succès populaires, ont été méprisés par la critique qui n'y voyait alors qu'un divertissement sans envergure colportant des clichés sexistes et guerriers. Ce qui incitera l'acteur à se détacher d'un rôle qu'il perçut comme un piège qui risquait de se refermer sur lui. On peut lui concéder une certaine clairvoyance quand on voit à quel point ses successeurs auront bien du mal à exister après avoir endossé le rôle.
Mais c'est aussi lié à une force intérieure qui amènera l'acteur à jamais se décourager. Sean Connery a toujours eu foi en sa bonne étoile en dépit d'une jeunesse dans une famille déclassée des quartiers ouvriers d’Édimbourg. Ayant quitté l'école très tôt, le jeune homme multiplie les petits jobs tout en rêvant de devenir footballeur. Solide gaillard dépassant le 1,80 mètre, il s'adonne au culturisme, ce qui lui permet de s'engager dans des concours internationaux. Ce physique de jeune premier lui ouvre les portes du théâtre et de la télévision où il incarne des bellâtres ténébreux de seconde zone. Pur autodidacte, il apprend son métier avec abnégation, se faufile au fur et à mesure dans le cinéma britannique. Mais rien de bien notable jusqu'à ce que Terence Young le repère et envisage de lui donner le rôle de James Bond dans Docteur No en 1961. La production rêve de Cary Grant bien trop cher et se laisse convaincre d'engager Sean Connery pour un cachet de 12 000 dollars. L'acteur mal dégrossi, à la calvitie déjà naissante, est relooké pour devenir l'ultra classe agent secret déclamant dans une volute de fumée : « Bond, James Bond ! » Le film construit sur deux débutants, Sean Connery et Ursula Andress, coûtera un million de dollars et en rapportera en première exclusivité, soixante fois plus. Les producteurs avisés enchaîneront les cinq premiers épisodes de Bond en moins de sept ans faisant de Sean Connery une icône mondiale, le sex symbol masculin le plus hot des sixties. Mais déjà, l'acteur en veut plus, accède au Graal en tournant dès 1964 Pas de Printemps pour Marnie, un drame psychologique sous la direction d'Alfred Hitchcock et fait une rencontre décisive avec Sidney Lumet pour La Colline des Hommes Perdus en 1965. Des rôles où il échappe progressivement à l'archétype qui a fait sa gloire. Seul souci, ces films plus ambitieux ne connaissent pas le succès espéré.
Même ses prestations pourtant remarquables dans les films de Sidney Lumet ou Martin Ritt sont passées sous silence. Dans les années 70, Sean Connery prend une décision primordiale en se découvrant à l'écran tel qu'il est avec sa calvitie, ses rides et sa barbe grise. De toute évidence, il veut échapper définitivement à Bond en s'investissant dans des œuvres où il exhibe son côté sombre, notamment dans The Offence de Sidney Lumet. Cette décennie, la plus ambitieuse de sa carrière, se solde par deux grands films devenus des classiques du cinéma d'aventures, L'Homme qui Voulut être Roi (1975) de John Huston et La Rose et la Flèche (1976) de Richard Lester où il incarne un Robin des Bois vieillissant et immature auprès d'Audrey Hepburn en Lady Marianne. Pourtant, son étoile pâlit à l'orée des années 80 où il reprend donc à la surprise générale son rôle de 007 à plus de cinquante ans dans un épisode d'excellente facture. Néanmoins, ce retour vers James Bond signe comme un aveu d'échec d'autant que la saga officielle qui ronronne sous le règne de Roger Moore se ringardise sous la pression des héros incarnés par Mel Gibson, Sylvester Stallone ou Arnold Schwarzenegger. Pourtant, le meilleur reste à venir pour un acteur qui, en 1986, incarne un moine-détective éclairé qui enquête dans un monastère au Moyen-Age dans Le Nom de la Rose de Jean-Jacques Annaud. Sans doute le rôle le plus marquant de Sean Connery depuis James Bond qui lui ouvre une seconde carrière où sa popularité va décupler en incarnant des personnages de mentors dans des films à succès. Ça démarre avec Highlander (1986) où comble de l'ironie, il incarne un aristocrate espagnol en Écosse puis avec deux de ses plus grands rôles : celui du flic de base qui veut combattre Al Capone dans la version rutilante des Incorruptibles (1987) de Brian de Palma et en père d'Indiana Jones dans La Dernière Croisade (1989) de Steven Spielberg.
Sean Connery reçoit enfin honneurs et récompenses, du Bafta au Golden Globe jusqu'à être consacré d'un Oscar pour le film de De Palma. Il est même élu dans la foulée comme l'homme le plus sexy de la planète à 60 ans. L'acteur est au sommet de sa popularité, bien plus encore qu'au temps de James Bond, et renoue avec les premiers rôles. Mais comme un signe qui ne trompe pas, l'acteur se retrouve de nouveau affublé de perruques pour assurer son statut de star de blockbusters des années 90. Ça commence plutôt bien avec l'un des personnages les plus forts de sa filmographie, celui du commandant Ramius de l'armée soviétique dans A La Poursuite d'Octobre-Rouge (1990) de John McTiernan. Mais Sean Connery devenu producteur, impose de plus en plus ses caprices de diva dans des films où il se fâche souvent avec ses réalisateurs. Rien de désastreux à l'écran, mais rien de vraiment étincelant non plus. A l'exception notable en 2001 d’À la Rencontre de Forrester, film sous-estimé de Gus Van Sant où Sean Connery incarne un écrivain reclus et misanthrope inspiré par J.D Salinger, qui va se lier d'amitié avec un jeune afro-américain. Une œuvre prémonitoire car peu après, à l'étonnement général, il annonce en pleine gloire sa retraite du cinéma, se contentant ensuite de rares apparitions publiques, la plupart du temps pour soutenir l'indépendance de sa chère Écosse. Jusqu'à se présenter en kilt devant Élisabeth II lors de la cérémonie qui en fait un Père du Royaume. Un royaume qu'il fuira pour d'obscures raisons fiscales pour se réfugier dans ses résidences à Marbella, à New York et aux Bahamas où il délaisse très vite toutes sortes de mondanités. Au point de disparaître totalement ces dernières années, oublié des médias qui n'auront jamais l'indécence de se demander ce que pouvait être devenu le premier des James Bond. Une discrétion telle qu'elle puisse lui donner la brillance d'un diamant forcément éternel !
Pas de printemps pour Marnie (Marnie)
Alfred Hitchcock
1964
Ce film a longtemps été minoré dans la carrière d'Alfred Hitchcock tout simplement car il se situe en queue de comète de l'époustouflante série de chefs d’œuvres que le maître a enchaînée sans discontinuer depuis Vertigo. Il souffre aussi de sa distribution qui n'a jamais vraiment convaincu les admirateurs de Sir Alfred. Alors disons le d'entrée : Tippi Hedren n'est pas Grace Kelly et Sean Connery ne vaut pas Cary Grant. Mais c'est bien la seule faiblesse d'une œuvre éblouissante où Hitchcock rivalise d'audace comme de finesse dans l'itinéraire de son héroïne qui fuit un traumatisme vécu dans son enfance. Marnie est une jeune femme qui change d'identité comme d'apparence pour se faire engager dans des entreprises dans le but de les dévaliser. Sauf que son dernier patron qui a saisi qui elle était va la piéger pour mieux l'épouser. Entre thriller psychanalytique et drame romantique, Marnie rivalise dans son esthétique à Vertigo dont il emprunte certains thèmes, notamment la fascination perverse et morbide qu'exerce l'héroïne sur celui qui l'observe. Le film est somptueux dans ses variations de couleur, sa charge érotique et son recours à l'expressionnisme. Comme Vertigo, c'est également un film au charme vénéneux, assez étouffant, peu enclin à laisser place à la légèreté. Si on reste assez peu friand du jeu affecté de Tippi Hedren, on se laisse surprendre à apprécier celui de Sean Connery. De la nonchalance du play-boy sûr de lui à la frustration de l'amoureux éconduit, l'acteur se montre convaincant pour exprimer les nuances de son rôle. Mais plus que pour ses acteurs, le film conserve surtout un charme fascinant, celui du dernier chef d’œuvre hollywoodien de son auteur.
Opération Tonnerre (Thunderbird)
Terence Young
1965
L'exercice est forcément périlleux, mais il faut bien inclure un James Bond dans une telle sélection. En fait, le choix se révèle moins compliqué qu'il en a l'air, tellement Opération Tonnerre s'impose en fait comme l'un des meilleurs épisodes de la franchise. Et disons le tout net, c'est le dernier Bond estimable de la période Sean Connery si l'on excepte Jamais Plus Jamais en 1983, opus non officiel et remake haut de gamme d'Opération Tonnerre. Bref, il faut voir les quatre premiers films de la saga qui montent crescendo avant de retomber avec On ne vit que deux fois pour se terminer sans éclat avec Les Diamants sont Eternels l'un des opus les plus faibles de la saga. Après avoir laissé les manettes à Guy Hamilton pour Goldfinger, Terence Young reprend la direction avec le défi de faire mieux encore avec Opération Tonnerre, le roman avec lequel il aurait voulu démarrer la franchise. Et le réalisateur anglais se surpasse avec une intrigue excellente, un méchant d'anthologie, des Bond Girls épatantes dont la douce française Claudine Auger et un agent 007 au meilleur de sa forme et de sa virilité. Un divertissement de grande tenue dans une ambiance exotique avec des scènes d'anthologie qu'elles soient dans les airs ou sous la mer. Humour, action, dépaysement, érotisme sont au programme dans une réalisation soignée et le passage pour la première fois au cinémascope. Quant à Sean Connery, il maîtrise à fond le personnage, n'oubliant jamais de souligner sa capacité au cynisme et à la violence. Avec ce charme sixties qui en fait vraiment une œuvre pop !
L'Homme qui Voulut Être Roi (The Man Who Would be King)
John Huston
1975
C'est un grand film d'aventures que John Huston tente de monter depuis des décennies. Il porte en lui l'un des thèmes forts du cinéaste, celui d'un homme obsédé par l'ivresse du pouvoir jusqu'à en perdre la raison. Le réalisateur pensa à Clark Gable, à Humphrey Bogart, à Paul Newman pour incarner Dravot, ce sous-officier de l'Empire Britannique qui va devenir un souverain divin dans un royaume reculé des Indes. Le choix de Sean Connery est d'évidence un pis-aller pour le réalisateur, mais l'acteur écossais va totalement s'investir dans un personnage qui reste l'un des meilleurs de sa filmographie. Surtout, on lui adjoint comme partenaire Michaël Caine qui sera celui qui tentera en vain de raisonner son ami ivre de pouvoir. Ce qui permet de créer un duo d'aventuriers qui symbolise à merveille la complicité amicale. Inspiré d'une nouvelle de Rudyard Kipling, le film montre la capacité intacte de John Huston de renouer avec la tradition du film d'aventures hollywoodien dont il fut jadis un maître. C'est donc un film d'un grand classicisme qui alterne les moments de bravoure et les scènes intimistes, l'exotisme des Indes comme l'universalité de la folie humaine. Sean Connery peut enfin prouver qu'il est un acteur de grande ampleur, capable d'exceller dans la comédie comme dans le drame d'essence shakespearienne en incarnant un personnage que l'on aurait confié, en d'autres temps à un acteur de la trempe de Peter O'Toole. Un film qui traverse le temps en vieillissant plutôt bien.
Le Nom de La Rose
Jean-Jacques Annaud
1986
C'est véritablement devenu un film culte qui reste de très loin la plus grande réussite du cinéaste français. Une prouesse qui allie le film policier, le drame historique et le conte philosophique adaptée d'un roman touffu d'Umberto Eco. Contre toute attente, le film d'une folle ambition, sera un fulgurant succès mondial qui relancera la carrière de Sean Connery en perte de vitesse dans les années 80. On peut même penser que c'est le plus grand rôle de sa carrière car il y explose de traits de caractère qu'on n'imaginait pas forcément sous la panoplie de James Bond. Il y interprète le rôle d'un moine franciscain érudit et éclairé, envoyé par le Pape pour élucider une série de meurtres mystérieux dans une abbaye de bénédictins. Ceux-ci semblent encore plongés dans l'obscurantisme médiéval tandis que le moine enquêteur resplendit déjà de l'humanisme de la Renaissance. Le film est tout d'abord un formidable cluedo pour tenter de percer l'identité du meurtrier avant, peu à peu, de basculer dans le secret d'un livre interdit. Jean-Jacques Annaud n'oublie jamais de faire de son film un divertissement de luxe, renouant avec les plus grands classiques du cinéma hollywoodien tout en interrogeant avec perspicacité ce qui fait le propre de l'homme. Sean Connery se révèle un guide exemplaire pour faire du spectateur son allié pour dénouer une énigme passionnante. De plus, Jean-Jacques Annaud témoigne d'une inspiration de tous les instants pour reconstituer un Moyen-Âge chrétien qui bascule du réalisme au mysticisme jusqu'aux frontières du fantastique. Le film parfait pour se divertir tout en ayant l'impression d'être un peu plus intelligent lorsque défile le générique de fin.
A La Poursuite d'Octobre Rouge (The Hunt of Red October)
John McTiernan
1990
Sean Connery est au sommet de sa popularité grâce à sa prestation de professeur d'université entraîné malgré lui dans les aventures d'Indiana Jones, son fils archéologue. Après une série de seconds rôles payants, l'acteur écossais retrouve son statut de star dans une superproduction dirigée par John McTiernan qui s'est imposé comme le prodige du cinéma d'action avec Piège de Cristal et Predator. Sean Connery incarne un commandant exemplaire de la marine soviétique qui, à la tête d'un sous-marin nucléaire de dernière génération, quitte sa trajectoire pour se diriger vers les États-Unis. Tout l'enjeu du film est de savoir quelles sont les intentions réelles de cet homme qui a toujours servi sa patrie avec honneur. Le vrai héros du film, c'est l'agent secret de la CIA, Jack Ryan inventé par le romancier Tom Clancy dans une série de livres d'espionnage à succès. Celui-ci est interprété avec conviction par Alec Baldwin, mais ce n'est pas faire injure à son talent d'affirmer qu'il est supplanté par Sean Connery, mur d'opacité sur sa volonté ou non de faire dérailler la Guerre Froide entre les USA et l'URSS. Nemo narcissique, cheval de Troie ou archange de la paix, Sean Connery exprime dans ce rôle la solitude mélancolique d'un militaire perdu dans un monde qu'il ne reconnaît plus. La mise en scène de McTiernan est d'une virtuosité insensé pour illustrer une bataille navale psychologique intense. Dans cette montée en pression qui retient le spectateur en haleine, Sean Connery impérial pour exprimer par le regard ses tourments intérieurs, y trouve l'un des plus beaux personnages de sa prestigieuse carrière.