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philippelenoir-popculture.com

Journaliste professionnel, je propose ici de partager avec vous mes coups de coeur, mes avis et ma passion pour la culture populaire sous toutes ses formes.

Phil Spector, le génie démoniaque de la pop music

Phil Spector, le génie démoniaque de la pop music

Bien difficile d'évoquer la carrière de Phil Spector en tentant de séparer l’œuvre de l'homme, une équation qui se révèle toujours impossible. Le producteur de musique, décédé en prison ce 17 janvier 2021 était un assassin dangereux, l'un des pires psychopathes de l'histoire de la pop music. En tuant d'une balle dans la tête l'actrice Lana Clarkson qu'il venait d'inviter dans son manoir hollywoodien en 2003, Spector s'est exclu à jamais d'une possible bienveillance de la part de ceux qui ont pu admirer sa contribution au rayonnement de la musique populaire. Mais on est prêt à parier que le musicien le plus dingue du show-biz américain sera, dans quelques années, l'objet d'un biopic hollywoodien qui, entre les mains d'un cinéaste inspiré, vaudra son pesant de dollars. Al Pacino a déjà incarné le musicien dans un film HBO concentré sur le meurtre et sa longue procédure judiciaire. Bien avant, Brian de Palma s'était inspiré de Phil Spector pour créer Swan, le producteur mégalo de Phantom of the Paradise en 1974. Car Phil Spector, malgré l'antipathie constante qu'il inspira, même au faîte de sa gloire, fut l'un des artistes les plus admirés de son temps par des génies de la musique comme John Lennon ou Brian Wilson. Tout simplement parce que Phil Spector fut lui-même un créateur de talent, un mélodiste racé doublé d'un producteur visionnaire. Enfant solitaire traumatisé par le suicide de son père quand il a dix ans, le jeune Spector né dans le Bronx, est élevé par une mère possessive qui émigre à Los Angeles après le drame. C'est au cours de cette adolescence dont on sait peu de choses qu'il se met à la musique, tout d'abord à la guitare puis plus tard au piano.

Le Wall Of Sound, un  véritable déluge musical

A l'âge de 19 ans, il monte un trio The Teddy Bears pour lequel il écrit son premier tube To Know Him Is To Love Him, une ballade en mémoire de son père, qui se classe numéro 1 aux USA. Il a déjà placé une femme Annette Kleibard pour chanter, lui se contentant d'assurer les chœurs et l'accompagnement à la guitare. Phil Spector sent très vite qu'il n'est pas fait pour la scène, mais qu'il est doué pour composer et encore pour créer des hits pop pour les autres. Sa principale source d'inspiration, c'est le duo Jerry Leiber et Mike Stoller qui écrivent des tubes, notamment pour Elvis Presley. Il travaille avec eux, mais s'émancipe assez vite pour se concentrer sur ce qui fera sa réputation mondiale : produire des chansons aux mélodies légères, mais orchestrées avec un déluge d'effets musicaux obtenus en studio grâce aux nouvelles techniques de réverbération et d'écho. Son objectif : faire des mini-symphonies pop à l'intention des teenagers. Le succès dépasse l'entendement avec des productions Spector qui trustent les premières places des charts sous son propre label. Le Wall of Sound, fait de lui un millionnaire à 25 ans en confectionnant des pépites pour The Righteous Brothers dont le fameux Unchain Melody, mais surtout pour des girls groups comme The Crystals ou The Ronettes. Car il s'agit bien de petits chefs d’œuvres dont le plus fameux Be My Baby pour The Ronettes est encore considéré comme l'une des plus grandes chansons de l'histoire de la pop music. Au point d'influencer les Beach Boys et les Beatles qui sont fascinés par la capacité de Phil Spector à superposer les cordes, les percussions, les cuivres et les guitares sur des mélodies simples et imparables. C'est ainsi que Brian Wilson, le génie introverti des Beach Boys, se décida à composer son chef d’œuvre, Pet Sounds, dont les initiales sont une référence à celles de Phil Spector. Les Beatles, notamment John Lennon et George Harrison, seront, eux aussi, bluffés par les inventions harmoniques du producteur démiurge.

Contoverse sur Let It Be, le dernier album des Beatles

Mais celui-ci, déjà incroyablement égocentrique, ne voit pas venir l'évolution en cours dans la seconde partie des sixties. Son Wall Of Sound enregistré en mono est parfait pour ses singles qui s'écoutent sur pick-up et transistor, mais va s'altérer à l'avènement de la stéréo. De même, il reste accroché au format du 45-tours et ne croit pas au concept d'album dont il estime que trois-quart des chansons sont du remplissage. Les Beatles comme les Beach Boys vont très vite lui prouver le contraire. L'âge d'or du Wall of Sound va se conclure avec l'échec de l'album River Deep, Mountain High qu'il produit pour Ike & Tina Turner. Même si ce disque est aujourd'hui considéré comme un classique, la recette Spector à l'époque, lasse le public. Le producteur se retire du business un temps jusqu'à saborder son label pour revenir en producteur indépendant. Marié avec Ronnie Bennett, la chanteuse des Ronettes, Phil Spector témoigne de plus en plus de ses troubles psychiatriques, renforcés par sa consommation excessive de drogues. A l'instar de Citizen Kane, le film d'Orson Welles qu'il regarde en boucle, il vit en reclus dans son manoir où il s'adonne à sa grande passion, les armes à feu qu'ils portent en permanence sur lui. C'est John Lennon qui le sort de son palais hollywoodien en 1970 pour lui demander de produire Let It Be, le dernier album des Beatles alors que le groupe est déjà séparé. Le travail de Spector sur ce disque fera l'objet de nombreuses controverses. Mais il faut reconnaître que la tâche n'était pas aisée. Car il s'agit de remettre au propre les sessions live du projet Get Back que les Beatles ont arrêté à force de divergences avant de se retrouver pour délivrer leur ultime chef d’œuvre Abbey Road sous la houlette de leur producteur historique George Martin. Comme à son habitude, Phil Spector aura sur certains titres la main lourde, ce qui provoquera la fureur de Paul McCartney qui découvrira abasourdi les nappes de violon et les chœurs féminins enrober The Long and Winding Road.

Le Mozart de la pop devient un monstre de foire

Malgré la colère de Macca qui, du coup, intentera un procès aux autres Beatles, le titre sera le dernier numéro 1 aux USA des Fab Four. Dans la foulée, Spector qui se moque des états d'âme de McCartney, deviendra le producteur des disques solo de John Lennon et George Harrison avec un succès fulgurant puisqu'on y compte Imagine pour John et All Things Must Pass pour George. Mais c'est bien la fin qui se profile pour Spector, même s'il continue de produire les albums solo de John Lennon dans une ambiance de plus en plus délétère entre les deux hommes. Divorcé de Ronnie, victime d'un accident de voiture qui le défigure et l'oblige à porter des perruques de plus en plus délirantes, le producteur donne des signes de folie paranoïaque. Ses dernières collaborations avec Leonard Cohen et The Ramones tournent au cauchemar avec un Spector prêt à dégainer ses armes dès qu'il est contrarié... De plus, les disques concernés se révèlent sans relief, noyés dans des productions pop qui ne fonctionnent plus vraiment. Se déclarant lui-même bipolaire et parano, le producteur disparaît peu à peu de la scène musicale anglo-saxonne, cultivant sa dangereuse réputation dans quelques soirées du show-biz hollywoodien où il fait à peine illusion. Seule Céline Dion tentera de l'amadouer, mais en vain. Spector renverra la diva canadienne à ses chères études, en prétextant qu'elle n'avait aucune leçon musicale à donner à Mozart. Le producteur autrefois adulé, ne provoquera plus que du dégoût jusqu'à l'horreur fatale. L'artiste a fait place à un monstre de foire qui ne peut bénéficier d'aucune clémence en rapport à ses exploits musicaux d'antan. Il nous reste juste à écouter encore et encore Be My Baby, l'une des plus belles chansons de la pop music réalisée par un jeune homme que la folie a emporté à tout jamais !

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