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19 Octobre 2019
Pour son dixième anniversaire, le festival Lumière a remis son prix d'honneur au cinéaste américain Francis Ford Coppola. Un hommage amplement mérité pour un réalisateur qui a connu tous les succès et tous les échecs. Pour le grand public, il est surtout le metteur en scène phare des années 70 où il récolte deux Palmes d'Or à Cannes pour Conversation secrète et Apocalypse Now. Mais pour les cinéphiles du monde entier, il est surtout l'architecte de la saga monumentale du Parrain, la trilogie mythique des mafieux de la famille Corleone. L'une des plus fameuses œuvres de cinéma de tous les temps qui continue de fasciner et d'émerveiller ceux qui la découvrent. Francis Ford Coppola a façonné une légende des gangsters italo-américains en leur donnant une stature tragique, lyrique et romantique. Une trilogie colossale, peinture d'une Amérique construite sur la violence et la corruption, mais aussi drame intime et familial. Francis Ford Coppola a toujours fait la fine bouche sur son chef d’œuvre, tout du moins sur ses deux suites. Il a bien tort, car dans notre cas, on pense que c'est la plus cohérente trilogie de l'histoire du cinéma.
Le parrain 1972
Adaptation d'un roman de Mario Puzzo, Le Parrain est une fresque de trois heures qui raconte la succession à la tête de l'empire mafieux de la famille Corleone. Pas un temps mort dans ce chef d’œuvre incomparable dans lequel Marlon Brando offre une prestation démente qui lui permettra de décrocher l'Oscar du meilleur acteur. Son incarnation de Vito Corleone tient de la légende, souvent imitée, jamais égalée. Dès le début du film, le ton est donné : dans la pénombre de son bureau, habillé pour les noces de sa fille, il continue de tenir audience auprès de ceux qui lui réclament protection. Car chez Le Parrain, les affaires crapuleuses et les rites familiaux se côtoient, se mêlent et finissent pas exploser. Le mariage annonce le retour de Michaël de la guerre. C'est le plus jeune des fils Corleone, le préféré de son père, et le seul à ne pas tremper dans la mafia. Pourtant, le destin de Michaël va le porter à la tête du clan au détriment de ses frères, Fredo et Sonny. C'est un grand film sur la transmission filiale qui montre comment Michaël va s'imprégner de son père à son corps défendant. Al Pacino y trouve le rôle qui va en faire une star mondiale, montrant au fil des épreuves son autorité implacable. Le film alterne les règlements de compte sanglants et les moments d'intimité d'un clan qui ne jure que par les liens de la famille. L'intrigue est foisonnante sur les rivalités mafieuses, passionnante sur les sentiments des membres du clan, édifiante sur la violence pour régler des codes d'honneur ancestraux... Même la séquence sous le soleil de Sicile où Michaël se réfugie et trouve l'amour auprès d'une beauté locale, se termine en tragédie. Le jeune idéaliste est alors prêt à revenir aux USA pour accomplir sa destinée. Mythique d'un bout à l'autre sur la musique inoubliable de Nino Rota
Le parrain 2 1974
Le succès du Parrain excite les convoitises de la Paramount qui offre un pont d'or à Francis Ford Coppola pour réaliser une suite aux destinées de Michaël Corleone. Le réalisateur aura une idée de génie : il ne fera pas seulement une suite, mais également un préambule au premier épisode. Deux films en un, en quelque sorte. L'un raconte l'ascension de Michaël Corleone qui déploie ses affaires à Las Vegas, à Hollywood et à Cuba. L'autre raconte la jeunesse de Vito Corleone qui fuit la Sicile après le meurtre de ses parents et part aux États-Unis où il va devenir un caïd de la Pègre. Le rôle est tenu par Robert de Niro, époustouflant en réincarnation jeune de Marlon Brando. Deux films en miroir qui se répondent par le biais de subtils fondus enchaînés. La partie consacrée à Vito permet à Coppola de mettre en scène des séquences historiques saisissantes comme l'arrivée des migrants à Ellis Island, une reconstitution de Little Italy au début du XXe siècle...Surtout, on y suit l'ascension du jeune Corleone qui, de règlements de comptes en affaires crapuleuses, va s'imposer en gangster tout en se construisant une famille unie. De son côté, Michaël fait le vide autour de lui, délaissant sa femme et son fils, pour mieux asseoir son autorité sur le clan. Le sens de la famille des Corleone est définitivement trahi quand Michaël commandite l'assassinat de son frère Fredo. Le Parrain, telle une figure de la tragédie shakespearienne, s'est transformé en monstre hanté par le pouvoir. La marche funèbre est prodigieuse, certains disent supérieure au premier épisode. Le Parrain avait eu l'Oscar du meilleur film, Le Parrain 2 récidive.
Le parrain 3 1990
Seize ans sans nouvelles de la famille Corleone et voici que Francis Ford Coppola revient aux manettes d'un troisième opus, soit-disant pour éponger ses dettes. Pour notre part, on aimerait bien que tous les films de commande possèdent une telle intensité artistique. Michaël Corleone est toujours à la tête du clan, souhaite désormais donner à ses affaires un vernis honorable et pense même à transmettre le flambeau à son neveu Vincent, fils illégitime de son frère Sonny. Al Pacino que l'on a découvert dans ce rôle, est désormais un homme fatigué, hanté par son existence où les morts se comptent pas dizaines. Surtout, le Parrain se fait nostalgique et tente de reconstruire une famille qu'il a lui-même décimé. Le film se déroule pour plus de la moitié en Sicile dans le berceau des Corleone. Coppola s'amuse autour d'une intrigue inspirée par l'actualité de l'époque quand la banque du Vatican et la Démocratie Chrétienne italienne étaient engluées dans des scandales financiers. Mais l'essentiel du film est le portrait d'un homme damné, torturé qui tente de se racheter de sa vie mortifère. Coppola se fait virtuose de bout en bout, mais surtout dans un dénouement baroque où il se laisse aller à son goût de l'opéra italien. Cruel, le réalisateur fera en sorte que le coup de feu qui doit tuer le Parrain l'épargne et atteigne sa fille. Damné jusqu'au bout, Don Corleone mourra bien plus tard, seul, sur une chaise, dans le silence. Magistral et bouleversant.