Journaliste professionnel, je propose ici de partager avec vous mes coups de coeur, mes avis et ma passion pour la culture populaire sous toutes ses formes.
18 Février 2020
Un nouveau film de Clint Eastwood reste un événement majeur de l'actualité cinématographique mondiale. A presque 90 ans, il est de fait un monument sans égal aujourd'hui comme réalisateur et acteur, surtout depuis la mise au ban de Woody Allen. Son dernier film qui sort ce mercredi 19 février, Le cas Richard Jewell, s'applique à raconter comment un homme qui déjoua un attentat lors des Jeux Olympiques d'Atlanta en 1996, sera accusé à tort d'avoir orchestré l'opération pour faire parler de lui. Le film a suscité la polémique sur la manière dont Eastwood décrit les pratiques du FBI et des médias chassant en meute un homme sans défense. Aux États-Unis, le film a été un échec commercial et on ne lui prédit guère la possibilité de battre des sommets au box-office français. Mais qu'importe pour un artiste qui désormais peaufine une filmographie conséquente, uniquement préoccupé par sa stature de réalisateur. Car aucun doute, Clint Eastwood est avant tout un metteur en scène peaufinant à chaque film sa stature d'auteur, sans doute le survivant d'un classicisme formel au sein de l'industrie hollywoodienne. Longtemps, l'idée que la star devait jouer dans ses propres films pour que le public réponde présent est désormais dépassée. Certains films comme Invictus ou American Sniper comptent même parmi ses plus gros succès commerciaux. Néanmoins, on doit bien admettre que ses meilleurs films sont ceux dans lesquels il joue.
Ses fabuleux westerns, de L'homme des hautes plaines à Impitoyable, ses mélodrames bouleversants, de Sur la Route de Madison à Million Dollars Baby, ses chroniques sur l'Amérique de Bronco Billy à Un monde parfait sont à mettre au crédit de ses plus grandes réussites. Des films d'autant plus importants qu'ils nous lient à un visage, un corps, une voix, un regard que nous avons vus évoluer pendant de longues années. Car Clint Eastwood qui se filme, c'est le questionnement charnel d'un homme qui a exposé sa virilité rayonnante comme les stigmates de son vieillissement. Néanmoins, à l'aune d''une œuvre monumentale, on compte quatorze films où il se contente d'être derrière la caméra, une tendance qui s'est accentuée sur cette décennie. Sur ses dix derniers films, il ne sera en vedette sur l'écran que deux fois. Ces films sont-il si différents de ceux dans lesquels il est à l'affiche ? Pas tant que ça si l'on s'en tient au fait que Clint Eastwood est un formidable conteur d'histoire doublé d'un moraliste exigeant. Nous en avons sélectionné cinq qui méritent d'entrer dans le panthéon du grand Clint.
Breezy 1975
De très loin, le film le plus confidentiel de Clint Eastwood et pourtant l'un de ses meilleurs. A l'époque, le film sort sans aucune promotion dans un circuit très restreint qui ne lui offre aucune visibilité. Breezy n'a rien pour plaire sur le papier : les admirateurs de Dirty Harry se moquent d'un film décrit comme une romance dans lequel leur idole ne joue pas : les pourfendeurs d'Eastwood qui voient en lui un néo-fasciste à la gâchette facile ne lui donnent aucun crédit comme réalisateur. Les deux camps ont bien tort, car c'est l'une des œuvres les plus personnelles et sensibles de son auteur. Sous couvert d'une romance entre une jeune hippie de 17 ans et un homme divorcé de 50 ans, Clint Eastwood mène une réflexion subtile sur l'amour qui surprend deux êtres en rupture familiale et sociale. Sur un sujet qui pouvait être scabreux, Clint Eastwood propose une réflexion délicate sur une relation vouée à l'échec aux yeux de la société. Un film sobre, sans les effets mélodramatiques de Sur La Route de Madison dont Breezy semble être une ébauche bien avant l'heure. William Holden est prodigieux de gravité dans le rôle d'un amant qui sait que l'horloge du temps joue désormais contre lui. Quand à Kay Lenz qui incarne Breezy, elle personnifie à merveille une jeunesse motivée par son idéal. Le premier film qui bât en brèche la réputation réactionnaire de son auteur qui s'avère être un conteur inspiré et bienveillant. Un grand film reconnu désormais comme un opus majeur de la filmographie de Clint Eastwood, le meilleur de toux ceux dans lesquels il ne joue pas. La musique de Michel Legrand achève d'en faire une œuvre au charme persistant.
Bird 1988
Une année charnière dans la carrière de Clint Eastwood qui dit adieu à Dirty Harry dans un 5e épisode qui marque l'usure du personnage emblématique de la star. Surtout, il réalise ce biopic sur la vie du saxophoniste de jazz Charlie Parker, le premier film qui rend enfin justice à son statut d'auteur à part entière. Notamment grâce à la France qui permet au film d'être sélectionné en compétition à Cannes. Pourtant Eastwood avait déjà réalisé quelques-uns de ses meilleurs films, que ce soit Josey Wales, Honkytonk Man ou Bronco Billy. Aujoud'hui, le film a un peu perdu de sa superbe au sein de la filmographie d'Eastwood. Le biopic d'artiste n'était pas à l'époque aussi populaire qu'aujourd'hui. On pourrait même dire que Bird en jette les bases, se focalisant sur la personnalité autodestructrice du musicien. Néanmoins, le film échappe aux diktats hollywoodiens du genre par la manière dont le réalisateur filme sa passion du jazz. Car la force de Clint Eastwood, héritier du classicisme de John Ford, est de ne jamais s'embarrasser d'un psychologisme envahissant. Encore moins de virtuosité tape-à-l’œil dans sa mise en scène pourtant d'une rare élégance. Bird est un hommage sincère du réalisateur à un artiste qu'il admire par dessus tout sans étalage de prêchi-prêcha sur ses addictions, ses infidélités et ses mensonges. Forest Whitaker s'y révèle dans l'un de ses plus grands rôles. Surtout Bird est le film sur lequel Eastwood va bâtir sa légende de réalisateur majeur du cinéma mondial.
Mystic River 2003
Clint Eastwood signe un grand film noir, une tragédie grecque au cœur d'une cité populaire de Boston. Au cœur du film, un secret de jeunesse inavoué entre trois hommes qui se retrouvent quand la fille de l'un deux est sauvagement assassiné. Le père, caïd du quartier, est une montagne de douleur qui souhaite faire la justice par lui-même. Il finit par soupçonner son ami d'enfance, un pauvre type traumatisé par le secret dont il fut la principale victime. Le troisième est le seul qui a su s'extirper de sa condition en devenant policier. C'est lui qui est en charge de l'enquête sur le meurtre de la fillette, ce qui l'oblige à se confronter à son passé. Le quartier est isolé du reste de la ville par la Mystic River, ce que Eastwood décrit avec perspicacité et efficacité. Car le film échappe au polar pour se concentrer sur cette communauté qui vit refermée sur elle-même jusqu'à l'asphyxie. Le réalisateur excelle notamment dans les portraits des femmes du quartier, les seules à donner un semblant d'humanité à une population masculine soumise à ses pulsions destructrices. Jusqu'à la révélation du secret d'enfance, Eastwood tient son récit au cordeau pour un résultat d'une âpreté sans répit. Néanmoins, le film est gâché par l'interprétation de Sean Penn qui lâche les chevaux comme jamais dans l'affectation d'un père foudroyé par la douleur. Eastwood peut le regretter, car Mystic River avait vraiment les atouts pour s'imposer comme un classique de sa filmographie.
Lettres d'Iwo Jima 2007
L'un des films les plus radicaux de Clint Eastwood qui renoue avec un vrai film de guerre en décrivant l'honneur suicidaire des soldats japonais lors de la bataille de l'île d'Iwo Jima pendant la Seconde Guerre Mondiale. C'est en fait la seconde partie d'un diptyque sur cette bataille devenue emblématique grâce à une photo où l'on voit des GI's planter le drapeau américain au sommet de l'île. Le premier film, Mémoires de nos Pères, se concentre d'ailleurs sur les soldats qui ont participé à l'élaboration de cette photo, outil de propagande qui servira l'effort de guerre auprès de l'opinion américaine. Un film intéressant, mais un poil fastidieux à l'opposé de cette seconde partie. Pourtant, Eastwood ne cède en rien à la facilité avec un casting japonais, des dialogues en japonais et un traitement de l'image qui dissout les couleurs au profit d'un chromatisme aux frontières du noir et blanc. Mais a contrario du premier film dédié à la propagande de son propre camp, Eastwood montre l'humanité de l'ennemi, ses doutes, ses pulsions, ses peurs, sa bravoure... Le Jap, silhouette inquiétante de tant de films américains, devient un être pétri de toutes les contradictions humaines face à la mort. Intime et spectaculaire, Eastwood signe un film de guerre fidèle au genre tout en offrant un point de vue original sur une bataille si stratégique, si dérisoire...
Sully 2016
Clint Eastwood, en s'inspirant de faits réels, cherche à décortiquer les mécanismes de l'héroïsme de gens ordinaires confrontés à des situations exceptionnelles. Ce n'est pas forcément cette veine dans laquelle il fut le plus inspiré. Cet amerrissage réussi d'un avion de ligne dans la baie de l'Hudson face à Manhattan ne possédait pas a priori un grand attrait. L'image avait fait le tour du monde le 15 janvier 2009, mais difficile d'imaginer quel pouvait être le scénario captivant qu'on pouvait en tirer. Et contre toute attente, le film se révèle captivant de bout en bout, en se concentrant sur le commandant Sullenberger, dit Sully, qui décida de poser l'avion sur l'eau au risque de tuer tous les passagers. Tom Hanks renoue avec un personnage dans lequel il excelle : le citoyen américain honnête et droit qui devient un héros malgré lui. Sauf qu'il est obligé de se défendre lors d'une enquête qui tend à lui reprocher sa décision pour mieux défendre les intérêts de l'industrie aéronautique. Embarrassé par son statut de héros salué dès qu'il sort boire un verre, Sully se voit obligé de sauver son honneur au cours d'une enquête à charge. Dans un cas comme dans l'autre, Eastwood défend Sully avec force, en lui façonnant un destin idéaliste de héros entre Franck Capra et John Ford. Le film est d'autant plus admirable qu'il interroge dans le même temps New York et l'Amérique de l'après 11 septembre. L'amerrissage d'un avion dont tous les passagers furent sauvés face aux tours de Manhattan, ne peut que cautériser les plaies d'une ville meurtrie. Un grand film !