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11 Mars 2020
L'affaire du plagiat de Starway To Heaven de Led Zeppelin est définitivement achevée avec le refus par la Cour Suprême des Etats-Unis, la plus haute instance judiciaire du pays, de statuer sur le litige en dernier recours. C'est donc la décision de mars 2020 qui s'impose à jamais en faveur de Robert Plant et Jimmy Page, les auteurs de la chanson incriminée. Le tribunal de San Francisco avait alors débouté les ayant-droits du groupe californien Spirit qui accusaient le groupe britannique d'avoir plagié des mesures de l'un de ses morceaux dans l'introduction à la guitare de Stairway to Heaven. Le passage en question concerne quatre accords qui comptent pour dix secondes dans une chanson qui fait huit minutes. Mais, de fait, on parle de Stairway to Heaven, un monument du rock. Car plus qu'une affaire de légitimité artistique, le litige portait essentiellement sur la fortune colossale générée par l'une des chansons les plus célèbres de l'histoire de la pop music. Dans le cas présent, Stairway to Heaven qui fête le cinquantenaire de sa création a rapporté plus de 500 millions d'euros dont une large part est revenue à ses deux créateurs. Sur le litige en plagiat, c'est donc le guitariste du Dirigeable qui était accusé de s'être approprié ces quelques accords qu'il aurait entendu lorsque Led Zeppelin assurait la première partie de Spirit en 1969. Pour sa défense, Jimmy Page a soutenu que ces quelques notes de guitare circulaient dans de nombreux airs de folk-blues des sixties. Et c'est en partie cet argument qu'a retenu le tribunal de San Francisco, cette forme de banalité qui ouvre l'une des chansons les plus célébrées du rock. Mais revenons donc cinquante ans plus tôt.
Le groupe formé en 1968 par Robert Plant, Jimmy Page, John Paul Jones à la basse et John Bonham à la guitare, s'est imposé très vite sur la scène rock anglaise, mais aussi américaine avec un répertoire qui mêle le blues, le folk et le rock avec une rythmique lourde, des solos de guitares virtuoses et un chant puissant. Ses prestations scéniques fascinent le public, ses frasques avec saccages d'hôtels, orgies sexuelles et prises de drogue à haute dose lui confèrent une réputation sulfureuse. Les deux leaders, Robert Plant et Jimmy Page s'affirment attirés par les sciences occultes, l'heroïc fantasy de Tolkien et le satanisme qui parsèment leurs chansons. Pour la préparation de leur quatrième album, le quatuor se retire en 1970 dans la campagne anglaise afin de créer un disque qui mettra le monde à leurs pieds. Page a tout d'abord travaillé seul sur l'architecture de la chanson qui nous occupe avant de la présenter à Plant. Les deux sentent d'instinct qu'ils possèdent un morceau très particulier. Robert Plant dira avoir écrit les paroles comme guidé par une force mystérieuse en deux heures. Au final, la chanson se présente sur huit minutes avec son ouverture à la guitare, suivie des fameuses flûtes à bec, le chant lent et bluesy, puis la montée crescendo, le solo lyrique de Page jusqu'à l'explosion hard rock puis le retour sur la voix chamanique de Plant. La chanson est placée en fin de la face A du 4e album de Led Zeppelin qui sort en 1971. Le disque sans nom, juste illustré d'un tableau représentant un paysan portant un fagot, accroché à un mur décrépi. A l'intérieur de l'album, quatre symboles plus ou moins ésotériques représentant chaque membre du groupe.
Ce qui apparaît comme un suicide commercial s'avère un coup marketing exceptionnel, car ce Led Zeppelin IV comme on finira par l'appeler, va connaître un succès monstrueux, considéré comme le chef d’œuvre du groupe. C'est bien Stairway to Heaven qui s'affiche en standard illico et sert de locomotive au disque, d'autant que Led Zep refuse de sortir la chanson en single. Au delà de ses qualité intrinsèques, la chanson bénéficie de sa réputation diabolique, alimentée par des organisations chrétiennes qui affirment que les paroles écoutées à l'envers délivrent des phrases explicites sur Satan. Même les paroles à l'endroit sont soupçonnées de dissimuler des messages codés, alors que Robert Plant a toujours affirmé qu'il fallait les prendre pour ce qu'elles sont : une femme riche qui s'achète un escalier pour atteindre le paradis. C'est surtout le Graal pour Led Zeppelin qui a décroché le plus gros hit de sa carrière, un titre qui fut longtemps le plus diffusé sur les radios du monde entier. Un standard qui fait l'unanimité désormais, repris en version country par Dolly Parton, par la diva soul Mary J Blige... C'est dire si le satanisme de la chanson s'est dissipée pour n'en retenir que son classicisme achevé et consensuel.
En fait, les seuls au monde à avoir des avis divergents sont leurs deux créateurs. Jimmy Page affirme que Stairway to Heaven est sa création la plus aboutie, tandis que Robert Plant la considère comme une rengaine de fin de banquet. C'est dire si une reformation de Led Zeppelin apparaît bien hypothétique, même si les deux artistes ont travaillé ensemble après la séparation du groupe, mais sous leurs noms respectifs. De toute évidence, si Jimmy Page ne demande que ça, Robert Plant s'épanouit davantage dans sa carrière solo. Ce qui se ressent dans leur appréciation antagoniste sur la chanson qui leur a assuré fortune, gloire et postérité. Led Zeppelin ne s'est donc réuni pas plus de trois fois depuis sa séparation en 1979 pour des prestations plus ou moins improvisées et jugées décevantes. Sauf lors de ce dernier concert exceptionnel du groupe en 2007 à Londres avec Jason Bonham à la batterie pour remplacer son père. On a compté jusqu'à 20 millions de demandes pour 20 000 places disponibles pour cette reformation exceptionnelle pour rendre hommage au fondateur de leur label Atlantic. Avec une version émouvante, sans doute la dernière en live, exécutée par ses deux géniteurs, d'un Stairway to Heaven au paradis du rock pour toujours. La justice des hommes a tranché...