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philippelenoir-popculture.com

Journaliste professionnel, je propose ici de partager avec vous mes coups de coeur, mes avis et ma passion pour la culture populaire sous toutes ses formes.

Quand Hollywood bravait les interdits au temps du Pré-Code

Quand Hollywood bravait les interdits au temps du Pré-Code

Avec la ressortie en salles par Warner d'une dizaine de pépites de son catalogue habilement intitulées Forbidden Hollywood, la cinéphilie découvre avec passion ce qu'on appelle désormais la période Pré-Code, un terme inventé aux États-Unis pour évoquer les années 1930/1934 au sein de la production du cinéma américain. Un terme assez nébuleux qui qualifie une parenthèse dite enchantée au sein d'Hollywood où vont éclore des films d'une folle liberté créatrice évoquant sans détours le sexe, l'argent, la violence et la misère dans un esprit libertaire, voire contestataire. Il faut donc entendre cette période Pré-Code comme celle qui aurait précédé l'établissement du célèbre Code Hays qui va réglementer le cinéma hollywoodien à partir de 1934 jusqu'en 1967. Cette dénomination du Pré-Code est assez récente, correspondant à la sortie du premier ouvrage de référence sur ce pan d'histoire hollywoodienne à la fin des années 1990. Beaucoup d'historiens du cinéma se montrent d'ailleurs assez dubitatifs sur ce thème qu'ils assimilent à une opération marketing des studios pour susciter l'intérêt sur leur catalogue de films anciens, mais aussi dans l'envie irrépressible de réécrire leur histoire en se plaçant opportunément du coté des créateurs rebelles se cabrant face aux censeurs puritains des années 30.

Le scandale Arbuckle

Sans rentrer dans les détails de la naissance du code de censure, il faut rappeler qu'il fut mis en place par les studios eux-mêmes à la fin des années 20 sur le principe de l'auto-régulation avec un objectif principal: rassurer l'opinion face aux scandales qui émergent dont le plus fameux concerne le comique Fatty Arbuckle accusé de la mort d'une starlette lors d'une orgie sexuelle en 1921. L'affaire va déclencher plusieurs procès retentissants, des campagnes de presse démentes dans lesquelles le sénateur Hays s'implique au point d'être sollicité par les studios pour rétablir les bonnes mœurs à Hollywood dès 1922. Mais au départ, Hays bien plus souple qu'on l'imagine et surtout salarié des studios, n'émet que des recommandations. Mais l'influence grandissante du cinéma sur le public va conduire les lobbys religieux à réclamer au fil des années un code de censure, tout d'abord pour protéger les mineurs, puis pour convenir plus généralement à la morale chrétienne et au patriotisme. Les studios, par l'entremise de Hays, vont donc établir ce Production Code en invitant une soixantaine de lobbies à participer à son élaboration qui sera effective dès 1930. Sauf que deux événements vont changer la donne : l'arrivée du cinéma parlant qui va fausser tous les interdits mais encore plus la Grande Dépression de 1929 qui fait craindre à Hollywood des pertes financières énormes.

Fatty Arbuckle, accusé du meurtre d'une jeune actrice lors d'une orgie, suscitera la naissance du code de censure. Après trois procès retentissants, Arbuckle sera acquitté. Il mourut à 33 ans d'une crise cardiaque.

Fatty Arbuckle, accusé du meurtre d'une jeune actrice lors d'une orgie, suscitera la naissance du code de censure. Après trois procès retentissants, Arbuckle sera acquitté. Il mourut à 33 ans d'une crise cardiaque.

Menace de boycott

D'autant qu'à l'époque, les studios maîtrisent tout le processus des films, ce qui implique la production, la distribution et l'exploitation grâce à des réseaux de salles dans tout le pays. Un système qui permet d'engranger des bénéfices immenses quand tout va bien, mais qui ne partage pas les risques s'il s'effondre. D'autant que le passage au parlant a nécessité des investissements colossaux. Les majors companies vont donc lâcher la bride aux cinéastes pour produire des films qui puissent émoustiller le public et ainsi l'attirer dans les cinémas. Et si le code Hays est donc déjà en place, les impératifs commerciaux vont primer sur la morale comme c'est toujours le cas à Hollywood. Et d'ailleurs, cette période récréative se refermera en 1934 sous la menace de boycott des films par les plus influentes organisations religieuses des USA qui représentent plus d'une dizaine de millions de membres. Voici en résumé comment cette parenthèse enchantée du Pré-Code va permettre au cinéma américain de vivre une période plutôt libre, mais pas forcément plus créative que d'autres. D'abord parce que la production est telle que tous les films sont loin d'être transgressifs, loin s'en faut ! Et cette fameuse transgression s'affirmera aussi dans le contournement des interdits, ce qui expliquera si bien Billy Wilder en déclarant que le code Hays fut son meilleur stimulant créatif.

L'âge d'or des actrices

Néanmoins, il faut désormais compter avec ces films du Pré-Code qui s'assimilent donc à un genre, même si la définition est assez difficile à saisir. Car on y trouve des classiques connus de tous comme King-Kong, les premiers Tarzan avec Johnny Weissmuller et Maureen O'Sullivan, l'hallucinant Freaks de Tod Browning, les films d'épouvante Universal comme les fabuleuses comédies de Frank Capra ou de Ernst Lubistch, les films noirs de Howard Hawks ou de William A. Wellman., les comédies musicales de Busby Berkeley... C'est néanmoins une période foisonnante où les cinéastes osent montrer le désir sexuel, aborder l'érotisme, dénoncer la détresse sociale.... En pleine Prohibition, les films décrivent des gangsters puissants qui violent les hypocrisies, séduisent les femmes et tuent sans vergogne. Mais si les stars masculines comme Clark Gable, James Cagney, Cary Grant et Gary Cooper tiennent le haut de l'affiche, ils sont dépassés par leurs partenaires féminines qui vivent un véritable âge d'or en incarnant des femmes qui prennent leur vie en main pour échapper au patriarcat, assumer leur sexualité, garantir leur indépendance... Il y a les inévitables séquences lingeries qui vont faire la réputation du Pré-Code et bâtir sa légende. sulfureuse. Mais c'est aussi un temps béni pour de nombreuses actrices qui vont bâtir leur statut de stars inaccessibles, que ce soit Greta Garbo, Marlène Dietrich, Barbara Stanwick, Joan Crawford, Mae West, Jean Harlow, Claudette Colbert ou Norma Shearer....

Les scandaleuses

Leur influence au sein des studios, pour certaines d'entre elles, est unique. A la Paramount, l'extravagante Mae West écrit elle-même les scénarios de ses films, rajoute des scènes excessives censurées par le studio pour mieux dissimuler les vraies pépites interdites comme celle qu'elle balance à Cary Grant dans Lady Lou (1933) : « Dans ta poche, c'est ton revolver ou t'es juste content de me voir ! » A la MGM, c'est la blonde platine Jean Harlow qui déchaîne les passions dès qu'elle se love dans les bras de Clark Gable. Autre tempérament de feu, Barbara Stanwick qui obtiendra un contrat non-exclusif du redoutable Harry Cohn, patron de la Columbia, pour tourner, comme bon lui semble avec les réalisateurs de son choix à la Warner, à la 20th Century Fox ou à la RKO, les rôles qui vont construire sa légende. On l'aura compris, ce fameux Pré-Code aura fait souffler un certain vent de liberté sur le cinéma américain qu'il faut savoir apprécier sans laisser croire que la création à Hollywood s'arrêta ensuite avec la pleine mesure de la censure. Ce Pré-Code qui peut faire penser à ce que sera le Nouvel Hollywood des années 70, mérite néanmoins d'être redécouvert, car au-delà de ses provocations aujourd'hui bien inoffensives, il possède en son sein, des films qui méritent toujours l'attention des amoureux du cinéma.

Notre sélection de cinq films qui symbolisent le Pré-Code

Liliane/Baby Face

Alfred A Green

1933

Barbara Stanwick en prédatrice de bureau face à George Brent

Barbara Stanwick en prédatrice de bureau face à George Brent

Le film qui établit la réputation sulfureuse de Barbara Stanwick au firmament d'Hollywood. Après la mort de son père qui la prostituait dans un bar miteux, Lily débarque à New York avec une seule idée en tête : gravir les échelons sociales et se venger des hommes. Employée dans une banque, elle va gravir les étages du building en séduisant à chaque fois son supérieur hiérarchique. Le film est une satire féroce d'une Amérique rongée par la misère où toutes les armes sont bonnes pour s'en sortir. Barbara Stanwick y incarne une garce de haut vol, mais son attitude sans concession s'explique par une jeunesse marquée au fer rouge. La censure Hays fera modifier la fin pour lui donner un semblant de morale. Désormais, le film est visible dans la version originale voulue par le réalisateur, plus conforme au cynisme décapant de l'ensemble du film. Barbara Stanwick s'y révèle vraiment prodigieuse se forgeant une attitude froide et même monstrueuse pour mieux dissimuler son profond désarroi. Certaines séquences sont devenues cultes, notamment celle où Barbara Stanwick renverse une tasse de café chaud sur un homme qui tente de lui mettre une main sur la cuisse. Un chef d’œuvre de cette période Pré-Code où l'on aperçoit John Wayne dans un petit rôle, celui d'un amoureux éconduit par la terrible Baby Face.

42nd street

Loyd Bacon et Busby Berkeley

1933

Des chorégraphies vraiment démentes

Des chorégraphies vraiment démentes

Busby Berkeley est à l'époque du Pré-Code le plus incroyable chorégraphe des grandes comédies musicales de la Warner. Ces tableaux avec des dizaines de danseuses sont entrés dans la légende du Old Hollywood. Celui-ci montre un profond dédain pour le code de censure et s'en donne à cœur joie montrant de jeunes femmes souvent très dénudées. Parmi ces grandes réussites, on peut citer Prologues/Footling Parade où l'on découvre les talents de danseur de James Cagney ou le délicieux Chercheuses d'or/Gold Diggers. Mais ce 42nd Street qui recevra l'Oscar du meilleur film possède l'un des scénarios les plus sophistiqués du genre. On y suit l'élaboration d'un spectacle à Broadway, mais avec une volonté de réalisme très novatrice, notamment en y décrivant les efforts à donner pour gagner ses galons de vedette dans le monde du show-business. Les danseuses notamment, témoignent de leur volonté acharnée à monter sur scène pour fuir la misère sociale qui règne à l'extérieur. Le film est également d'un grand réalisme sur les relations qui régissent les artistes soumis à la promiscuité dans les coulisses du show avec son lot de romances triviales. 42nd Street est un exemple assez rare de film musical hollywoodien qui se coltine une telle envie de réalisme. Par la suite, le genre s'affichera plus léger et étranger au contexte social de son époque.

Les enfants de la crise/Wild Boys Of The Road

William A. Wellman

1931

Un film sans concession sur la Grande Dépression

Un film sans concession sur la Grande Dépression

William A. Wellman, l'un des plus grands réalisateurs de l'âge d'or d'Hollywood, témoignera qu'il ne s'est jamais autant épanoui dans sa carrière qu'à l'époque du Pré-Code, même si il n'a jamais employé ce terme apparu bien après son décès. I faut dire qu'il va tourner plus d'une vingtaine de films de 1930 à 1934 et pas des moindres. On peut même penser qu'il est l'un des auteurs emblématiques du Pré-Code. Il signe notamment en 1931 L'Ennemi Public/Public Ennemy l'un des premiers grands films de gangsters avec deux acteurs sulfureux, James Cagney et Jean Harlow. Il contribuera aussi à la légende de Barbara Stanwick avec qui il tourna cinq films. Mais on lui préfère Les Enfants De La Crise, une production à petit budget qui raconte avec un réalisme rare le sort des adolescents jetés sur les routes pendant La Grande Dépression. Wellmann y témoigne avec sécheresse de la pauvreté, mais aussi de la répression policière qui s'abat sur les miséreux. Le film évoque sans détours la prostitution, le viol, l'injustice quotidienne, mais également la solidarité qui lient les jeunes face à des adultes déboussolés. En 68 minutes, sur un rythme trépidant, alternant séquences dramatiques et comiques, William A.Wellman signe un film politique insolent qui passe sous les fourches caudines de la censure. Un petit chef d’œuvre.

Cléopâtre

Cecil B. De Mille

1934

Le faste de l'Egypte ancienne avec Claudette Colbert en sensuelle Cléopâtre

Le faste de l'Egypte ancienne avec Claudette Colbert en sensuelle Cléopâtre

Le cas de Cecil B.De Mille est l'un des plus passionnants en matière de puritanisme mêlé de fascination pour le sexe et la violence. Pendant cet ère du Pré-Code, le réalisateur va donner la pleine mesure de son talent dans deux péplums qui vont lui permettre de s'adonner aux films à grand spectacle dont il a le secret. Mais aussi pour décrire la sensualité païenne,qu'elle soit romaine ou égyptienne. Il s'agit du Signe de La Croix/Sign Of The Cross et Cléopâtre qui ont tous deux pour vedette féminine Claudette Colbert. Le premier film raconte la persécution des premiers Chrétiens par Néron, ce qui permet à Cecil B.De Mille de se pencher sur les perversions romaines. Claudette Colbert qui incarne Poppée, la femme de Néron, y déploie toute sa sensualité dans un bain de lait où elle montre ses seins et témoigne de sa bisexualité en invitant une de ses servantes à la rejoindre. Les Chrétiennes sacrifiées aux lions sont également dénudées dans un pur délire fétichiste. De Mille poursuivra cette veine érotique dans Cléopâtre avec une Claudette Colbert hypersexuée dont les tenues sont plus que suggestives. Ne parlons pas des servantes de la Reine d’Égypte et encore moins des hallucinantes femmes léopards qui marchent à quatre pattes. Cecil B. De Mille, réalisateur star de la Paramount, était, semble-t-il, un proche du sénateur Hays,dont il partageait les convictions conservatrices.

Female

Michaël Curtiz

1933

Ruth Chatterton, une femme libre qui dirige les hommes

Ruth Chatterton, une femme libre qui dirige les hommes

Un pur film du Pré-Code par son sujet, celui d'une femme, capitaine d'industrie dans l'automobile, qui a décidé de mener son existence comme un homme. Cela passe notamment par sa vie sexuelle, puisqu'elle invite ses employés à partager son lit, mais à chaque fois pour une seule nuit. Ensuite, l'amant d'un soir est congédié avec une prime et un transfert dans une filiale de la société. C'est l'actrice Ruth Chatterton qui incarne cette femme libérée qui finira néanmoins par tomber amoureuse d'un homme pour qui elle sacrifiera sa carrière. Cette conclusion morale peut décevoir, mais correspond néanmoins à l'essentiel de la production hollywoodienne de l'époque. Le plus intéressant est évidemment ce qui précède, le portrait d'une femme qui prend son destin en main et qui s'épanouit sexuellement à l'instar des hommes de pouvoir. C'est aussi une critique virulente du productivisme sans pitié du capitalisme moderne qui broie les individus sans autre forme d'intérêt que celle de leur énergie physique. Le film permet des dialogues cinglants sur la capacité d'une femme, mais encore plus d'une cheffe d'entreprise de vivre avec un souci d'efficacité maximale. Elle mène ses affaires comme elle choisit les hommes avec des critères objectifs de rentabilité. Le film est une pure comédie souvent fort drôle, jouant de cette volonté d'efficacité que l'héroïne cherche constamment sans témoigner d'aucun affect. Le tout emballé en une heure avec un sens du rythme qui fait tout le charme persistant du cinéma hollywoodien du Pré-Code.

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