Journaliste professionnel, je propose ici de partager avec vous mes coups de coeur, mes avis et ma passion pour la culture populaire sous toutes ses formes.
4 Octobre 2020
Janis Joplin est morte seule le 4 octobre 1970 à l'âge de 27 ans, dans une chambre d'hôtel à Hollywood d'une surdose d'héroïne pure alors qu'elle enregistrait son ultime album qui portera le surnom qu'elle adorait Pearl. La Perle, c'est ce qui définit le mieux une artiste qui, encore aujourd'hui, est considérée comme l'une des plus grandes chanteuse de la pop music. Une carrière météorique en plein révolution hippie, le fameux Summer Of Love dont elle sera, aux USA, l'un des flambeaux avec Jimi Hendrix qui l'a précédé dans l'au-delà de quelques semaines au même âge. A ces deux là, on prête une brève liaison, ce qui est fort probable quand on sait que l'un comme l'autre ont eu une vie sexuelle débridée. Surtout l'un comme l'autre auront servi la cause du rock jusqu'à l'épuisement total, atteignant des sommets de transcendance par la musique, mais aussi par la drogue, sésame vers la fulgurance créatrice. C'est également au festival pop de Monterey en Californie que leur carrière respective décolle en juin 1967 pour ne plus toucher terre jusqu'à ce funeste automne 1970 qui ferme la parenthèse enchantée du Flower Power. Ce soir-là, dans la moiteur de l'été californien, Janis Joplin apparaît rayonnante sur scène et va offrir l'une des plus belles prestations de sa carrière avec le groupe qui l'accompagne Big Brother and The Holding Company. Son répertoire est principalement axé sur des standards de blues puisés aux racines du genre. Mais jamais on n'avait entendu une jeune redneck chanter avec une telle variation de tons et d'émotions cette musique réservée aux chanteuses noires. Les pontes des maisons de disques, présents à Monterey sentent d'instinct que Janis Joplin, cette petite bonne femme au look improbable possède un potentiel à faire chavirer les foules. Pendant son set, la chanteuse arrive par son interprétation intense à captiver la foule et semble en totale fusion avec chacun des spectateurs. Une pulsion de vie et d'amour incomparable qui va très vite faire la réputation de Janis Joplin dans tout le pays. Car c'est bien cette volonté d'être aimée qui sera toujours le moteur de la folle ambition de la chanteuse. Comme une forme de pureté chez cette fille qui noie une tristesse persistante dans l'alcool, la drogue, le sexe et le rock.
Plus qu'une hippie qui croit construire un avenir rayonnant, Janis Joplin est une beatnik, influencée par les écrits de Kerouac. Une pessimiste qui sait à quel point la condition humaine est cruelle. Car avant de devenir la première femme à s'imposer vraiment dans le rock, Janis Joplin a vécu une jeunesse plutôt compliquée, se sentant très vite rejetée par les gens de son âge. Enfant de la middle-class à Port-Arthur, cité pétrolière du Texas, la jeune Janis souffre très vite de se sentir mal dans sa peau, notamment à cause de son physique disgracieux. Un véritable traumatisme qui atteindra son acmé à l'université d'Austin où les étudiants l'élisent comme le garçon le plus laid du campus. De plus, sa sensibilité l'amène à prendre fait et cause pour la culture noire dans un Etat du Sud raciste. Elle adore chanter en écoutant à la radio ses idoles Bessie Smith et encore plus Big Mama Thornton, légende du rythm'n'blues de l'Alabama, réputée pour mener une vie dissolue, buvant comme un homme et assumant comme c'était possible à l'époque, sa bissexualité. Dès l'adolescence, Janis Joplin sent au plus profond de son âme qu'elle doit devenir chanteuse. Sans formation musicale autre que la chorale de l'école, elle se lance tout d'abord dans la folk music à Austin sans autre rémunération que l'alcool qu'on lui sert. Mais les artistes locaux la rejettent violemment. En adepte de la Beat Generation, Janis Joplin prend alors son baluchon, direction San Francisco. On est en 1963 et la cité californienne s'érige déjà en capitale de la contre-culture. Là-bas, dans le quartier de Haight-Ashbury, Janis Joplin va fréquenter le gratin de la culture hippie, user de toutes les drogues, vivre à fond sa bissexualité, boire plus que de raison, user jusqu' à la démesure sa force vitale pour devenir une artiste majeure. Car Janis Joplin n'a jamais douté de sa destinée, notamment celle de devenir célèbre. Elle le lancera un soir à son idole Bob Dylan qui la remarquera à peine. Pour l'heure, elle écume la scène locale avec Big Brother, formation de blues psychédélique qui a sa petite réputation en Californie. Le groupe, formé d'honnêtes musiciens, sait d'instinct que celle qu'il surnomme Pearl, est une bombe à retardement qui va exploser au plus haut niveau.
Ses capacités vocales, son intensité scénique, son interprétation toute en émotions, bouffent un répertoire fait sur-mesure pour elle, faite de reprises de blues et de morceaux inédits qu'elle compose avec son groupe. Janis Joplin est une pure autodidacte qui aura peu écrit de chansons, qui n'aura enregistré que trois disques, mais là n'est pas l'essentiel en ce qui la concerne. C'est aussi ce qui rend sa postérité impressionnante. Sa légende se transmet surtout par les concerts démesurés qu'elle donna à son apogée. Même son unique concert en France dans un Olympia à moitié vide, reste impérissable pour ceux qui y étaient. Toute cette démesure subjuguait les foules au point qu'on disait qu'elle faisait l'amour au public en chantant. Une transcendance à lui donner le vertige, sensation qu'elle ressent comme un manque dès que les projecteurs s'éteignent. Car après Monterey, Janis Joplin devient très vite une star, signe chez Columbia, enregistre un premier disque sous le nom du groupe Big Brother... Très nettement Columbia cherche à se débarrasser des musiciens, mais Janis Joplin en grande affective, défend ceux qui sont devenus sa seconde famille, notamment pour l'enregistrement de son premier vrai disque, le mythique Cheap Thrills avec sa célèbre pochette dessinée par Robert Crumbs. Un faux live avec des titres qui vont forger le succès de la chanteuse comme Summertime tiré de Porgy & Bess de Gershwin, le vibrant Piece of My Heart et l'intense I Need A Man To Love. Des tubes immenses qui permettent à l'album d'être classé numéro 1 au Billboard et d'imposer Janis Joplin en pop star électrisant les foules. Elle devient un monstre médiatique, affinant son look avec ses coiffures à plume et ses lunettes roses, déballant une vie déjantée au Chelsea Hôtel de New York comme dans les palaces de Los Angeles.
A son apogée, elle touche jusqu'à 50 000 dollars par concert qu'elle enchaîne jusqu'à la démesure, boostée par l'alcool et les drogues. Elle finit par lâcher Big Brother pour se retrouver avec des backing bands à son seul service. La première alerte sur son état de santé déclinant sera perceptible au festival de Woodstock en août 1969 où elle monte sur scène ivre, le teint cireux et la démarche chancelante. Néanmoins, si elle-même se rend compte qu'elle se caricature, la chanteuse est encore capable de fulgurances sur scène, notamment lors d'un festival itinérant au Canada qui fera l'objet de captations filmées. Elle ira jusqu'à chanter sur le campus de son université au Texas où elle avait connu les pires humiliations avec une armée de journalistes à ses basques pour témoigner de sa revanche de vilain canard devenu star du rock. Il est temps en 1970 que Janis Joplin enregistre dans un studio de Los Angeles son disque vraiment à elle, le fameux Pearl. Le 3 octobre 1970, elle termine la session d'enregistrement de Me and Bobby McGee, sublime ballade country écrite pour elle par Kris Kristofferson qui deviendra son plus grand tube. Elle rentre seule à son hôtel située à Hollywood. Le lendemain matin, son corps sans vie sera retrouvé au pied de son lit. Le décès ne fait aucun doute : un shoot d'héroïne pure mélangé à de l'alcool, aura eu raison de son cœur. Le disque posthume sera un triomphe planétaire mais le plus étonnant sera de découvrir la conséquente correspondance qu'elle a toujours entretenu avec ses parents au Texas. Des lettres où elle raconte ses espoirs, ses craintes, ses envies, où elle se veut rassurante sur sa vie de rock star excentrique et déglinguée... Loin de la star exubérante qu'elle se plaignait d'être devenue, on découvre une Janis Joplin émouvante en quête d'un véritable amour qu'elle ne trouvera jamais. Des missives écrites à la main qui se terminaient toujours ainsi : Love Janis.