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philippelenoir-popculture.com

Journaliste professionnel, je propose ici de partager avec vous mes coups de coeur, mes avis et ma passion pour la culture populaire sous toutes ses formes.

Alan Parker : le cinéma de la génération des années 80

Alan Parker : le cinéma de la génération des années 80

Alan Parker qui vient de disparaître ce 31 juillet 2020, laisse à coup sûr une génération de cinéphiles assez nostalgiques de ses films qui symbolisent les années 80. Une époque où l'esthétique de la publicité et du clip musical va donner des films qui, aujourd'hui, sont souvent méprisés, voire moqués par les détenteurs du bon goût. Malgré les honneurs qui ont jalonné sa carrière, Alan Parker en garda une profonde blessure, notamment à cause de la critique française qui le pilonna joyeusement. Encore aujourd'hui, pour évoquer sa mémoire, les journaux français commentent sa filmographie avec des pincettes retenant dans le fond peu de choses d'une œuvre jugée trop éclectique, jusqu'à l'incohérence. Il resterait donc d'Alan Parker qu'une sorte de maniérisme de fils de pub lancé dans le 7e art comme un intrus illégitime. On fera le même procès d'intention plus ou moins argumenté aux autres représentants de ce cinéma britannique, formés à la publicité et refusant l'affiliation au courant social des films de Ken Loach ou Tony Richardson. On compte parmi eux les frères Ridley et Tony Scott, Adrian Lyne et Hugh Hudson qui ont trahi la cause européenne pour répondre aux sirènes hollywoodiennes. Pas question pour nous de défendre outre-mesure tous ces cinéastes britanniques, notamment Adrian Lyne et Hugh Hudson dont les filmographies ont d'évidence du mal à passer la rampe du temps.

Alan Parker

Alan Parker

Humilité, humour et simplicité

Mais celle d'Alan Parker, malgré un éclectisme un peu déconcertant, contient quelques films qui franchissent allègrement les années. La preuve en est faite d'ailleurs avec la ressortie récente sur grand écran de Mississippi Burning qui s'impose désormais comme l'un de ses opus les plus aboutis. Ses autres films ont plus ou moins disparu des radars, malgré leur statut culte et leurs multiples récompenses aux Oscars, aux Baftas et même au festival de Cannes où le cinéaste britannique fut régulièrement sélectionné, malgré l'hostilité de la cinéphilie française à son égard. De plus, l'homme était très attachant, témoignant d'une humilité, d'un humour et d'une simplicité tout à son honneur, déclinant la proposition de Warner de tourner un épisode de la saga Harry Potter qui lui aurait assuré une retraite dorée. Bref, on aime plutôt bien Alan Parker qui symbolise un cinéma générationnel qui manqua certes souvent de finesse, mais qui fut toujours empreint de respect pour celui qui payait son ticket. Et pour qui était adolescent en 1980, difficile de résister au charme des élèves de l'école artistique de Fame quand ils dansent dans une rue de New York bien avant Ferris Bueller. Ou de ne pas ressentir ce sentiment de claustrophobie du héros de Pink Floyd : The Wall...

 

Madeleine générationnelle

On est plus circonspect, c'est vrai, sur sa seconde moitié de carrière qui vire à l'académisme sans nerfs, voire au pompiérisme pour Evita, tentative désespérée pour faire de Madonna une actrice bankable. Néanmoins, Alan Parker, à défaut d'être un auteur accompli, fut à plusieurs reprises bien plus qu'un habile faiseur. Avec un fil conducteur dans cette filmographie, celui de l'enfermement carcéral, de la névrose mentale, de l'intolérance raciale... Avec aussi une véritable passion pour la musique, offrant à Giorgio Moroder l'occasion de signer la bande originale de Midnight Express, accompagnant l'hédonisme disco dans Fame, donnant des images à la musique de Roger Waters dans The Wall, exprimant sa tendresse pour des prolos irlandais qui jouent de la soul music dans The Commitments.... C'est dire si Alan Parker, souvent taxé d'avoir un regard frisant le vulgaire, avait une oreille plutôt aguerrie. Bref, à l'heure du bilan, Sir Alan Parker est parti sur la pointe des pieds avec un certain sens de l'honneur. Et quelques films qui, à défaut d'être des chefs d’œuvre impérissables du 7e Art possèdent l'indéfinissable goût de la madeleine générationnelle pour nos golden eighties !

Avec Mickey Rourke sur le film Angel Heart

Avec Mickey Rourke sur le film Angel Heart

Nos cinq films majeurs d'Alan Parker

Midnight Express

1978

Brad Davis héros emprisonné en Turquie dans Midnight Express

Brad Davis héros emprisonné en Turquie dans Midnight Express

C'est le film qui lança la carrière du réalisateur britannique, basé sur l'expérience carcérale d'un Américain dans les geôles turques, arrêté et condamné à perpétuité pour du trafic de haschisch. Midnight Express fut à l'époque un choc, tant sur le plan politique qu'esthétique. Et on l'oublie souvent porté par l'interprétation habitée de Brad Davis et dans une moindre mesure, puisque dans un second rôle, par l'incroyable John Hurt. On a beaucoup évoqué les tensions qui résultèrent du succès retentissant du film entre la Turquie et les États-Unis. Le film décrit en effet une Turquie minée par la corruption de sa justice et par le sadisme de son personnel pénitentiaire. L'erreur du film est sans doute de s'être basée sur une histoire vraie dont les effets dramatiques ont été renforcés par le scénario écrit par Oliver Stone dont la nuance a rarement été la qualité majeure. Mais surtout, plus que le propos politique sur l'univers carcéral turc, Midnight Express s'applique à respecter l'efficacité des codes du film de prison, un sous-genre où le manichéisme est souvent la règle. On y détecte les effets publicitaires d'Alan Parker dans le choix des éclairages, les mouvements de caméras, la manière d'esthétiser la violence.... La modernité du film s'est, de fait évanouie si l'on excepte la musique synthétique de Giorgio Moroder. Plus qu'un film d'auteur qu'il n'a jamais été, Midnight Express reste un film de genre plutôt efficace.

Birdy

1984

Nicolas Cage et Matthew Modine

Nicolas Cage et Matthew Modine

Avec ce film, Alan Parker entre dans la période la plus féconde de sa carrière. Sélectionné en compétition officielle à Cannes, le film reçoit le Grand Prix et frise, selon toute évidence, la Palme d'Or qui revient à Emir Kusturica pour Papa est en voyage d'affaires. Le président du jury Milos Forman n'a peut-être pas souhaité célébrer un film qui pouvait faire référence à Vol Au-Dessus D'Un Nid De Coucous. Birdy, malgré un sujet difficile, sera également un grand succès commercial qui révélera deux jeunes acteurs quasiment inconnus à l'époque : Matthew Modine et Nicolas Cage. Le film raconte les traumatismes psychologiques et physiques de deux soldats à leur retour du Vietnam. L'un des deux vit dans un enfermement psychiatrique profond rêvant de voler comme un oiseau, tandis que l'autre devenu une gueule cassée le soutient comme il peut. Sur le papier, ça fait un peu peur, mais le film fonctionne bien par le biais d'un scénario bien écrit qui relate les événements avec d'habiles flash-back qui expliquent les liens d'amitié qui unissent les deux hommes. Surtout, l'interprétation des deux jeunes acteurs est d'une totale justesse, notamment Matthew Modine impressionnant dans sa faculté à faire ressentir l'enfermement mental. L'esthétique du film a vieilli, Alan Parker se laissant aller à ses effets hérités de ses années pub. Néanmoins, pour la première fois, il capte l'émotion donnant à voir un drame vraiment bouleversant. En prime, la musique de Peter Gabriel au diapason du film.

Angel Heart

1987

Le face à face entre Mickey Rourke et Robert De Niro

Le face à face entre Mickey Rourke et Robert De Niro

Après le succès critique et public de Birdy, Alan Parker passe dans la catégorie des réalisateurs les plus côtés à Hollywood, ce qui lui donne une liberté totale sur son film suivant, le sous-estimé Angel Heart qui se révélera un gros échec commercial. Pourtant, il possède l'un des castings les plus prestigieux de l'époque, une confrontation entre Robert De Niro au sommet de sa carrière et le néo sex-symbol rebelle Mickey Rourke. Presque too much à l'image du film où Alan Parker joue la carte de la surenchère avec une volonté de prouver sa virtuosité. Mais il faut bien avouer que c'est cette rutilance qui rend le film si séduisant, si attrayant... Sur le plan esthétique, Angel Heart est une réelle splendeur, mais il vaut encore plus encore dans sa volonté prétentieuse de renouer avec les codes de deux genres qui ont marqué la légende hollywoodienne : le film noir et le cinéma fantastique. Alan Parker n'a ni l'étoffe d'Howard Hawks ou de Jacques Tourneur, mais qu'importe ! Il veut rouler les mécaniques et il emporte l'adhésion. Mickey Rourke y trouve l'un de ses meilleurs rôles en détective looser de Brooklyn, totalement déphasé par une enquête qui l'entraîne dans les rites vaudous de la Louisiane. Il sent la poisse à plein nez face à un De Niro machiavélique à souhait en dandy ténébreux. C'est un film assez jubilatoire dans son envie de manipuler le spectateur dans une intrigue complexe dont le twist final fera école... Un vrai plaisir cinéphile qui fait l'objet d'un culte fervent auprès des connaisseurs et qui mérite d'être redécouvert à sa juste valeur.

Mississippi Burning

1988

Alan Parker : le cinéma de la génération des années 80

C'est devenu le grand classique d'Alan Parker, son film le plus célébré, celui qui franchit le temps avec le plus d'aisance. Il le doit d'évidence à son sujet tiré de faits réels, même si le film est critiqué par la communauté noire qui estime que le réalisateur a édulcoré le racisme latent du FBI dans les années soixante, époque où l'intrigue se déroule... Comme toujours chez Parker et c'est plutôt à son honneur, il évite le fim-dossier édifiant pour réaliser une œuvre percutante qui trouve sa filiation dans le meilleur du thriller politique à l'américaine. Il le doit aussi à ses deux acteurs principaux, l'impressionnant Gene Hackman et le fébrile Willem Dafoe. L'histoire raconte donc l'enquête de deux agents du FBI pour retrouver trois militants des droits civiques, disparus mystérieusement dans le sud des États-Unis, toujours rongé par la ségrégation et hanté par le Ku Klux Klan. De manière assez habile, Parker fait implicitement référence à l'apartheid sud-africain qui s'impose à l'époque comme une cause mondiale qui aboutira à la libération de Nelson Mandela en 1990. La reconstitution d'époque est rigoureuse, démontrant avec force l'aliénation oppressante de la ségrégation, système sans issue qui ne produit que de la haine. Dans un style sobre, voire sec, Alan Parker témoigne avec sincérité de son humanisme sans jamais céder aux effets appuyés dont ils pouvaient abuser dans ses films précédents. On sent le réalisateur très investi dans sa volonté de décrire l'organisation de la ségrégation la plus ordinaire, de donner de la profondeur à ses personnages et de dresser un constat social sans appel où la misère et l'ignorance sont les terreaux fertiles de la haine.

The Commitments

1991

The Commitments

The Commitments

De toute la filmographie d'Alan Parker, c'est sans doute le seul film qui fasse quasiment l'unanimité. A l'époque, le réalisateur qui menait de gros projets hollywoodiens revient à un sujet d'essence britannique et musicale, ce qui n'était pas arrivé depuis son adaptation de The Wall. Mais cette fois-ci, il choisit une veine naturaliste en adaptant un roman de l'auteur irlandais Roddy Doyle. Les Commitments, c'est un groupe formé de jeunes des quartiers ouvriers de Dublin qui veulent faire carrière en jouant de la soul music au pays du rock héroïque de U2. Avec un budget réduit, des acteurs inconnus au bataillon, Alan Parker semble avoir retrouvé une seconde jeunesse en revisitant la comédie sociale à l'anglaise, lui qui était le symbole du cinéaste britannique qui avait renié cette filiation incarnée par Ken Loach. Le film apparaît d'ailleurs dans sa filmographie comme une parenthèse singulière et unique, ce qui peut surprendre de la part d'un cinéaste qui se plaindra par la suite, des lourdeurs hollywoodiennes. Le film reste purement jubilatoire, enchaînant comme dans le meilleur du cinéma britannique, les scène comiques et les effets mélodramatiques avec une chaleur communicative et une tendresse évidente pour ces beautiful losers. De plus, en mélomane averti, le réalisateur enchaîne quelques séances musicales parmi les plus réjouissantes que l'on puisse voir sur grand écran. De très loin, le film plus attachant de son auteur et celui qui résiste le mieux au temps.

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