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philippelenoir-popculture.com

Journaliste professionnel, je propose ici de partager avec vous mes coups de coeur, mes avis et ma passion pour la culture populaire sous toutes ses formes.

Ennio Morricone, la musique de cinéma jusqu'à l'absolu !

Ennio Morricone, la musique de cinéma jusqu'à l'absolu !

La disparition, ce 6 juillet 2020, du compositeur italien Ennio Morricone, a donné une grande bouffée de nostalgie à tous les cinéphiles et mélomanes qui ont grandi en écoutant ses musiques qui conservent toujours une incroyable modernité. Encore plus fou, elles possèdent pour les meilleures d'entre elles, un pouvoir toujours hypnotique sur notre imaginaire. De tous les maîtres de la musique de films, Ennio Morricone possédait vraiment un talent très à part par sa faculté à bâtir un univers sonore reconnaissable entre tous, notamment dans sa période la plus féconde, des années 60 aux années 80. Le plus reconnaissable, mais aussi le plus inclassable des compositeurs de cinéma par sa faculté d'invention et d'imagination qui le place dans la position de génie jusqu'à l'absolu. Ce terme qu'il défendait ardemment pour expliquer sa volonté de création musicale qui dépassait tous les dogmes, toutes les règles... Un révolutionnaire de l'esthétique sonore qui fut le précurseur visionnaire d'un bannissement des étiquettes entre musique populaire, folklorique, classique et savante... Trompettiste de formation, il démarra d'ailleurs sa carrière de musicien en interprétant les genres les plus divers, avec un goût sûr pour les mélodies accrocheuses et entraînantes de nature populaire, mais aussi pour les architectures sonores répétitives et fragmentés de la création contemporaine d'après-guerre.

Ennio Morricone et Sergio Leone

Ennio Morricone et Sergio Leone

Le destin voudra qu'il rencontre un autre génie, Sergio Leone qui s'apprêtait dans les sixties à redéfinir les codes visuels du cinéma en affrontant le western, le genre le plus pur du grand classicisme hollywoodien. Les deux hommes qui ont fréquenté le même collège romain dans leur prime jeunesse, vont bâtir ensemble une œuvre prodigieuse indissociable l'une de l'autre. Si l'on excepte les duos Hitchcock/Herrmann ou Demy/Legrand, jamais l'histoire du cinéma n'aura connu une telle vision complémentaire et fusionnelle pour aboutir à une œuvre commune d'une cohérence totale. Le générique de Pour Une Poignée de Dollars donne le ton de ce qui sera la signature du duo : un fond rouge sang, des cavaliers animés en ombre chinoise, des bancs-titres en rythme avec la musique, une mélodie sifflée, cadencée par des tintements de cloches, des coups de fouets, un chœur masculin poussant un cri étouffé et quelques notes de guitare électrique. Le western faisait une entrée fracassante dans la révolution pop des sixties rencontrant un succès planétaire au grand dam des professionnels de la critique qui vont se déchaîner pour démolir ce que l'on va appeler la trilogie des dollars. Car il s'agit bien d'une révolution dont Ennio Morricone écrit la partition musicale avec un sens aigu de créativité que lui accorde Sergio Leone bien volontiers.

Son premier vrai coup de maître, il le met en place dès le second opus de la trilogie dans ce qui va devenir le leitmotiv de leur œuvre commune : l'évocation par la musique de l'action des protagonistes, mais encore plus de leurs sentiments mêlés d'avidité cynique, d'esprit de vengeance et de remords nostalgiques. Dans Et Pour Quelques Dollars De Plus, c'est évidemment le thème de l'Indien qui sublime le film avec la berceuse d'une montre qui sous-tend l'intrigue jusqu'au duel final. Le même procédé sera reconduit pour Il Était une Fois Dans l'Ouest avec l'harmonica dont l'écho lancinant est expliqué en flash-back lors du dénouement. Encore pour Il Était Une Fois La Révolution avec le thème qui accompagne les scènes irlandaises révélant les raisons qui conduisent le héros à épouser la cause des péons mexicains. Enfin, le thème de Deborah, souvent considéré comme le chef d’œuvre d'Ennio Morricone dans Il Était Une Fois En Amérique, rappelle le serment d'amour trahi qui rend absurde l'existance du héros. Seul Le Bon, La Brute Et Le Truand échappe à ce leitmotiv nostalgique, mais ne perd rien au change avec peut-être la bande musicale la plus excitante de Morricone. C'est la première fois que la musique est écrite avant le tournage, ce qui permet à Sergio Leone de la diffuser sur le plateau afin que ses acteurs s'imprègnent de l'ambiance souhaitée.

 

Le thème principal, avec ses cris humains imitant le coyote et son riff de guitare, a imprégné la culture populaire à l'instar de L'Homme à l'Harmonica. Mais la bande-son possède deux autres pépites, A Story of Soldier, chanson déchirante exécutée par les soldats sudistes pour couvrir les tortures et la fantastique Ectasy of Gold qui accompagne la recherche de la tombe du cimetière de Sad Hill. Le plus incroyable dans cette aventure commune est d'avoir permis à deux génies de recevoir chacun la reconnaissance du public et de leur accorder une influence égale dans leur domaine respectif. Pour ce qui concerne Ennio Morricone, jamais un auteur de musiques de film n'aura vendu autant de disques que lui, notamment des 45-Tours, un format réservé aux hit-singles de la pop music. Surtout qu'il s'agissait de morceaux instrumentaux, ce qui démontre la capacité d'évocation de sa musique pour le public. Il est d'ailleurs étonnant de se rendre compte à quel point ses créations musicales se dispensent plutôt bien des images... Ennio Morricone qui composa plus de 500 scores pour le cinéma n'aimait pas être réduit aux films de son copain Sergio Leone. Même si, à notre avis, cela reste indéniablement le sommet de son art, d'autant que la postérité de Leone le place désormais au sommet de la hiérarchie des grands cinéastes du XXe.

Néanmoins Ennio Morricone poursuivra une brillante carrière sans lui ponctuée de fulgurances où il s'efforcera toujours d'expérimenter et de jongler entre toutes les formes musicales, de l'opéra symphonique à la pop music, du jazz au easy-listening, utilisant les claviers électroniques comme la flûte de Pan, les cuivres comme les cordes, la guitare électrique comme la guimbarde, s'inspirant de Beethoven ou Bach comme du flamenco ou de la variété italienne. Car Morricone était un Italiano Vero et même Romain jusqu'au plus profond de son âme, ce qui le portera à refuser obstinément tous les ponts d'or pour s'installer à Hollywood. Il préféra apporter sa maestria aux films italiens, travaillant pour les plus illustres cinéastes de la péninsule comme Pasolini, Pietri, Bertolucci, Comencini, Tornatore, mais aussi en s'investissant dans les productions du cinéma bis italien, le western évidemment , mais aussi le giallo, la science-fiction ou la fantaisie érotique. Il sera également présent en France avec quelques belles réussites pour Henri Verneuil, Yves Boisset ou Georges Lautner. Reste sa carrière américaine qui manque de consistance, malgré de fructueuses collaborations avec Terrence Mallick, Brian de Palma, Roland Joffé et même John Carpenter... Jusqu'à la consécration tardive grâce à son fan numéro 1 Quentin Tarantino qui l'imposera pour la musique des Huit Salopards qui permettra à Ennio Morricone d'être récompensé d'un Oscar pour son dernier film, forcément un western. !

Nos indispensables d'Ennio Morricone.

Ennio Morricone, la musique de cinéma jusqu'à l'absolu !

The Ectasy of Gold/ Le Bon, La Brute Et Le Truand /Sergio Leone

Une merveille absolue, l'une des plus belles partition musicales de Morricone, une montée crescendo de forme opératique portée par les vocalises de la soprano Edda Dell'Orso avec des nappes de violons se chevauchant avec des chœurs d'hommes, des cuivres, des cloches.... Un véritable mur du son à donner le tournis pour une séquence démente au cours de laquelle Elli Wallach court dans un cimetière à la recherche d'une tombe renfermant un trésor. Un sommet de l'art du compositeur italien à marier une mélodie évocatrice de l'Ouest américain tout en lui insufflant un lyrisme symphonique et romantique à l'européenne.

Le thème de Jill/Il Était Une Fois Dans l'Ouest /Sergio Leone

C'est la musique qui accompagne Claudia Cardinale tout au long du film.. Une mélodie d'une beauté fracassante portée par la voix envoûtante d'Edda Dell'Orso. D'une infinie tristesse à son démarrage, elle s'envole vers le lyrisme évocateur des grands espaces de l'Ouest avec des violons déchirants et des chœurs en adéquation. Un mix génial entre une forme opératique classique et une forme répétitive plus moderne qui démontre à quel point Ennio Morricone maîtrise ce que lui nomme la musique absolue.

L'Homme à l'Harmonica/ Il Était Une Fois Dans l'Ouest/ Sergio Leone

Sans doute le plus grand hit de la carrière d'Ennio Morricone. Un véritable tube international marqué par le son lancinant de l'harmonica comme venu des entrailles de la terre. Et puis un riff de guitare électrique heavy qui déchire l'air pour mieux entraîner le surgissement des violons dans un crescendo lyrique et dramatique. Puis la rupture pour redescendre sur ce son d'harmonica de plus en plus fantomatique. Fascinant jusqu'à la fin des temps !

L'Arena /Le Mercenaire / Sergio Corbucci

Pour cet excellent western, Ennio Morricone exécute une très belle partition dominée par ce morceau. On y décèle le goût du compositeur pour les chants traditionnels et révolutionnaires qui seront une source d'inspiration dans sa contribution au cinéma italien engagé des années 70. Dans sa première partie, le compositeur introduit dans sa création quelques uns de ses gimmicks favoris, notamment le sifflement, des détonations lointaines, des castagnettes. Et puis ce sens de la rupture par un solo de trompette, quelques accords de guitare, des roulements de tambours jusqu'au crescendo.

Le Grand Silence/Sergio Corbucci

L'un des plus grands westerns italiens, le chef d’œuvre de Corbucci pour lequel Ennio Morricone signe une musique en rupture avec le style qui l'a rendu célèbre. Le Maestro livre une partition mélancolique qui délaisse les effets baroques qui illustrent les westerns de Sergio Leone. La ligne mélodique est superbe comme toujours avec ce sens inné de la cadence et cette capacité à offrir un lyrisme désenchanté. C'est le film qui va inspirer Tarantino pour ses Huit Salopards et remettre en selle Morricone pour sa dernière bande-son consacrée au western.

Le Clan Des Siciliens/ Henri Verneuil

L'une des plus brillantes partitions du maestro pour le cinéma français. Un son de guimbarde qui fait doing doing, un piano puis une guitare d'esprit surf qui répète un gimmick en boucle et les violons qui nappent le tout dans une mélopée soyeuse et lyrique. Une vraie merveille pop pour un polar à l'ancienne avec le trio Gabin/Delon/Ventura à son sommet. Le cinéma du samedi soir comme on n'en fait plus avec en bonus une bande-son du tonnerre !

Le thème de Deborah/Il Était Une Fois En Amérique/ Sergio Leone

Les retrouvailles avec Sergio Leone pour un film-somme de l’œuvre du cinéaste. Comme le film qui délaisse le maniérisme des westerns pour renouer avec un classicisme somptueux, la partition d'Ennio Morricone s'attache à plus de sobriété. Même si la flûte de Pan du thème principal n'est pas forcément notre tasse de thé, le maestro se rattrape avec le déchirant thème de Deborah, une merveille absolue d'un lyrisme grave où la voix d'Edda Del Orso n'a jamais été aussi émouvante. Un chef d’œuvre, sans doute le dernier score majeur du génial compositeur.

The Thing John Carpenter

John Carpenter qui avait l'habitude de signer la musique de ses films, n'aura pas l'autorisation de composer pour The Thing, sa première production pour un grand studio hollywoodien. Universal confie la tâche à Ennio Morricone qui a l'idée généreuse de composer un score à la Carpenter à base de synthétiseurs angoissants. Une réussite totale, expérimentale et hypnotique, loin du lyrisme symphonique et échevelé auquel le Maestro italien s'adonne habituellement. On adore, d'autant que le film est un chef d’œuvre !

Mission Roland Joffé

L'un des grands succès d'Ennio Morricone pour un film qui reçut la Palme d'Or au festival de Cannes en 1986. Le compositeur italien peut se laisser aller à son lyrisme pour une œuvre qui évoque le divin au sein d'une mission jésuite en Amazonie au XVIIIe siècle. On y reconnaît le sens de la cadence de l'artiste, son goût de l'emphase mystique, mais aussi sa faculté à utiliser des instruments exotiques. Ce n'est pas notre partition préféré, d'autant que le film, dans notre souvenir, souffre de certaines longueurs. Mais il faut reconnaître que ça en jette !

Les Incorruptibles Brian de Palma

Ennio Morricone a collaboré à trois reprises avec le prodigieux Brian de Palma, l'un des plus grands maniéristes du cinéma qui partageait à l'évidence de nombreux points communs avec Sergio Leone. Pour Les Incorruptibles, le Maestro livre une partition moderne qui mêle lyrisme et minimalisme selon les séquences. En point d'orgue, le thème principal qui démarre, il faut le faire, avec un son d'harmonica avant de s'engager dans un tempo de thriller trépidant qui annonce la couleur. Toujours bluffant à l'instar du film !

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